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Ligeti articulo sobre Chamber concerto

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Gyërgy Ligeti et le
Kammerkonzert pour treize
instruments
Jean-Pierre Dambricourt
Université de Rouen
"Chez moi, la
musique
est
toujours à la fois
processus
et
I
objet"
e qui caractérise principalement le
style de Ligeti et ne manque pas de
frapper l'auditeur, ce sont la continuité
temporefle et la. tendance à la
résorption de chaque voix au profit d'une
texture globale. Ces deux -caractéristiques
sont la conséquence d'un changement radical
d'attitude vis-à-vis du matériau musical, dont
l'initiateur est incontestablement Varèse. Le
matériau n'est ni produit ni saisi à travers des
opérations logiques, combinatoires ou
quantifiantes, étrangères à sa matérialité
(comme dans le système tonal d'écriture ou la
technique sérielle), mais il est considéré,
autant que faire se peut, de manière
immanente. Cela -signifie que le matériau ne
préexiste pas à l'œuvre et/ou que l'œuvre
n'est pas le résultat de la manipulation du
matériau.
L'œuvre produit le matériau en ('explorant, ou
encore, l'œuvre et le matériau sont une seule
et même réalité.
Chez Ligeti, on peut dire, d'une façon
généra[e, que (es différentes voix
représentent autant de "composantes
spectrales" d'un méta:imbre en évolution
constante. Ce projet com)ositionnel implique de renoncer à tout "dis"ours" musical : introduire et conclure,
déveopper, opposer des éléments, dépasser
une )pposition, effectuer une parenthèse... les
pro:édés rhétoriques sont inopérants, du
c
moins ont-ils profondément réinterprétés. .a musique de Ligeti ne raconte rien, elle
'rend audible" ; elle ne représente rien (même
(1969-1970)
entendre, même si elle ne "parle" pas ? Et surtout, comment rendre compte du matériau
luimême ? Nous tenterons de répondre à ces questions en nous appuyant sur le
Kammerkonzert Au préalable, nous situerons la démarche de Ligeti dans l'histoire de -la
musique de la deuxième moitié du XXe siècle et nous présenterons son oeuvre.
"Je n 'accepte pas les normes restrictives,
qu 'elles soient politiques, philosophiques,
musicales, je veux toujours tout remettre en
question. " 2
Gyôrgy Ligeti, aujourd'hui naturalisé autrichien, naît en 1923 en Transylvanie, région de
tangue hongroise (la langue maternelle de Ligeti), roumaine et allemande.
Sa famille étant d'origine juive, Ligeti souffre d'un antisémitisme d'abord latent puis
déclaré ; son père et son frère meurent en déportation. Ligeti souffre également du
totalitarisme communiste qui règne en Hongrie à partir de 1945 jusqu'à la mort de
Staline-en 1953, à tel point qu'il s'enfuit de son pays pour rejoindre l'Autriche puis
l'Allemagne, quelques semaines après la répression de la Révolution de 1956. Ces
violences de l'Histoire ont laissé des traces indéniables dans ses oeuvres, sous la forme
d'une angoisse sous-jacente que Ligeti chercherait tout à la fois à susciter et à maîtriser
(nous y reviendrons pour terminer). Ligeti reçoit une : solide formation classique,
d'abord dans sa région natale puis à l'Académie Franz-Liszt de Budapest. est à remarquer
que Ligeti compose dès le début de
- G. LIGETI, "Entretien avec Philippe Albèra", Musiques en Création, Coédition Contrechamps - Festival d'Automne à Paris, 1 989, p. 89. - Ibid. p.
93.
comprendre dans ce que sa musique donne à
41
son apprentissage musicai. Jusqu'à sa fuite
hors de Hongrie, Ligeti ignore tout ou
presque des bouleversements musicaux de
l'Europe occidentale après la Première
Guerre mondiale. il connaît un peu
Stravinsky mais pas du tout ou presque les
musiciens de l'École de Vienne (Schônberg,
Berg et Webern). Son awdèle est
essentiellement Barték, ce dont éT0igneat
les premières œuvres de son catalogue :
des pièces pour chœur a cappella ou vent
pour piano, (1953) les et Six surtout
Bagatelles le Premier pour quintette
Quatuorà
(1954)
sous-titré
"'Métamorphoses
nocturnes" que certains musicologues
considèrent comme le septième quatuor de
Barték. En fait, ce Premier Quatuor,
hyperchromatique
et
hypercontrapuntique, n'est séparé que de
quelques pas des options musicales à
venir. Ligeti déclare d'ailleurs avoir eu la
"vision" (c'est le terme qu'il emploie) 3 dès
cette époque, d'une musique faite
d'ensembles sonores enchaînés, sans
rythme ni mélodie perceptibles, mais
n'être pas véritablement parvenu à la
mettre en œuvre.
Le "déclic" se produit lorsque Ligeti côtoie
soudainement la jeune avant-garde
européenne en Allemagne, à partir de
1956. If rencontre Stockhausen, Berio,
Maderna, Boulez, à Cologne, dans les
studios de la Radio, ou à Darmstadt, où se
réunissent, durant l'été, les •eunes
compositeurs du monde entier. La usique
avant-gardiste des années cinquante
partage en trois courants principaux : le
ourant sériei, représenté par les
compositeurs récités,
le
courant
électroacoustique, repréFenté par Pierre
Schaeffer et Pierre Henry en France, par
Stockhausen, Eimert et Koenig en
Allemagne ou par Berio en Italie et le
courant de la musique indéterminée,
représenté principalement par des
musiciens américains comme John Cage,
Morton Feidman ou Earie Brown. Ligeti
synthétise de manière originale ces trois
courants, sans renier certaines de ses
attaches à la musique moderne de la
première moitié du XXe siècle (notamment en
matière de formation instrumentale et de
notation). il devient, du coup, un musicien
inclassable, ce qu'il revendique avec fierté,
cherchant de surcroît à enrichir et à renouveler
constamment son propre style-
42
De la musique sérielle, Ligeti retient le souci
de la précision de l'écriture et celui d'un
certain systématisme dans la mise en œUVre
des procédés compositionnels. De la
musique électroacoustique surtout, il
conserve le sens de la vie interne du son
et transpose queiquesunes de ses
techniques fondamentales à i'écriture
traditionnelle : mixage de différentes
couches sonores avec modification
'éventueile de leur vitesse de défilement,
filtrage de certaines fréquences,
modification de l'enveloppe (c'est-à- dire
de la "forme" du son, caractérisée par ses
trois moments principaux attaque,
entretien, désinence) par ralentissement
et montage, contrôle de la masse (c'estàdire de la hauteur globale), de l'allure
(c'està-dire du taux de vibrato), du grain
(c'est-àdire des micro-aspérités qui
peuvent devenir des accidents), de la
brillance
(c'est-à-dire
du
taux
d'harmoniques aigus) et du caractère
composé
(plusieurs
sonorités
superposées ou juxtaposées perçues
comme un tout) ou composite (plusieurs
sonorités superposées ou juxtaposées
séparables par l'orei(le) du son. De la
musique indéterminée, il garde l'idée de
la manifestation d'un potentiel sonore,
l'idée d'une matière sonore à laisser
résonner selon ses propres possibilités et
non selon des principes imposés de
l'extérieur.
L'ensemble de ces influences se retrouve
dans la technique d'écriture au
fondement du style de Ligeti et que le
compositeur
appelle
la
"micropolyphonie"
ou
encore
la
"polyphonie saturée". Un exemple
particulièrement clair en est fourni par le
début du premier mouvement du
Kammerkonzert (voir exemple I en p. 50).
Les instruments (notés en sons réels)
jouent dans un ambitus étroit de tierce
majeure (sol bémol - si bémol). Ils sont
associés deux par deux : d'une part le
violoncelle et la clarinette basse, la
contrebasse prolongeant la partie de
violoncelle, d'autre part la clarinette et la
flûte. Au sein de chaque paire, les
rythmes
sont
systématiquement
différents, les intervalles sont le plus
souvent de sens contraire, tout en étant
plus ou moins apparentés. En réalité, tous les instruments
jouent en canon à l'unisson, non-0'thmique
évidemment (la clarinette démarrant, la flûte
répondant à partir de sa deuxième note, le
violoncelle, associé à la contrebasse, à partir de
sa troisième note et la clarinette basse à partir
de sa quatrième note). Au sein de chaque
partie, il n'y a jamais plus de deux intervailes
de même sens et les vingt intervalles possibles
à l'intérieur de l'ambitus choisi (quatre
secondes mineures, trois secondes majeures,
deux tierces mineures et la tierce majeure,
ascendantes ou descendantes) sont énoncés
systématiquement (voir la partie de clarinette
ou celle de flûte). Le tout aboutit au
"brouillage" de la perception non seulement
du tempo mais aussi des dimensions
rythmique, mélodique et même intervallique,
brouillage accentué par la proximité des
timbres, des intensités et des modes de jeu
(violoncelle et contrebasse en sons
harmoniques
notamment)
des
cinq
instruments. La fusion ainsi obtenue
engendre le sentiment d'une matière
musicale "vivante", évoluant selon sa logique
interne, indécelable de l'extérieur. On voit
donc que Ligeti met en oeuvre des procédés
d'écriture rigoureux, dans l'esprit de la
musique sérielle (mais aussi, en un sens, de la
musique "traditionnelle" avec l'usage du
canon mélodique), de manière à neutraliser la
perception de chaque voix individueile au
profit d'une couleur sonore globale, dans
l'esprit de la musique électroacoustique, et à
créer l'illusion d'une auto-organisation du
matériau, dans l'esprit de la musique
indéterminée.
À Cologne, Ligeti travaille tout d'abord à des
pièces électroacoustiques : deux pièces qu'il
considère comme des essais, Glissandi (1957)
et Pièce électronique n o 3 (1957-58 ;
inachevée), et Artikulation (1958), dans
laquelle a lieu une sorte de "conversation
imaginaire", purement électronique. Même si
ces pièces contiennent en germe de
nombreuses caractéristiques du style qui
naîtra quelque mois plus tard, Ligeti n'est pas
satisfait des possibilités, somme toute très
limitées à l'époque, de la musique
électroacoustique.
li
transpose
alors
l'expérience acquise à l'orchestre traditionnel
dans Apparitions (3 958-59 ; aucun
enregistrement) et Atmosphères (1 961), puis
à l'orgue dans Volumina (1 961-62) où
l'organiste est amené, entre autres, à éteindre
et rallumer le moteur de la soufflerie. Ce
premier
groupe d'œuvres établit la renommée de
Ligeti et constitue le véritable coup d'envoi de
son nouveau style. Dans ces œuvres, la
micropolyphonie prend une forme à la fois
rudimentaire et radicale : celle de clusters, c'estàdire de "grappes" de sons en grand nombre
(jusqu'à 87 dans Atmosphères lorsque tous les
instruments jouent), généralement à distance
de ton ou de demi-ton, et évoluant très
lentement4.
Dans un deuxième groupe d'œuvres, Ligeti fait
alterner des zones de saturation chroma-
3-
Voir par exemple Ee documentaire que lui ont consacré Judit Kele, Arnaud de Mézamat et Michel Follin, réalisation Michel Follin (1 993), co-production Artiine Films Paris, les Productions
du Sablier Bruxefles, La Sept, RTBF, Magyar TeleVizio, Centre C. Pompidou, ou encore les entretiens de Ligeti avec P. Michel in P. MICHEL Gyôrgy Ligeti Minerve 1995 p. 155. 4 - La notation
reste cependant très précise, les rythmes étant très subtils, ce qui différencie les clusters de Ligeti de ceux de Penderecki ou de Xenakis à la même époque.
tique, à la manière des œuvres du premier groupe, avec une polyphonie moins dense. Cette alternance de tension et de détente relative réintroduit
très discrètement un principe de constitution de la forme musicale de nature dramatique et constitue donc un premier infléchissement de son
projet compositionnel. Dans ce deuxième groupe figurent le Requiem (1965) pour soprano, mezzo-soprano, deux chœurs mixtes à cinq voix et
orchestrer Lux Aeterna ("Lumière éternelle" 1 966) pour chœur mixte -a cappella, œuvre atonale mais largement diatonique (ces deux œuvres
ayant été popularisées par 2007, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick qui fait également appel à Atmosphères), le Concerto pour violoncelle
(1966) et Lontano ("Lointain" ; 1967) pour grand orchestre, écrit d'après les mêmes prtncipes musicaux que Lux Aeterna, même si la pièce sonne
de manière très différenteDans un troisième groupe d'œuvres, Ligeti infléchit une nouvelle fois sa démarche musicale en composant pour des
effectifs restreints, voire pour des instruments solistes. Certains contours mélodiques ou rythmiques émergent par moment, les différentes voix
retrouvent une certaine individualité et, du même coup, les notions d'intervalle et d'harmonie peuvent l'emporter sur celle de timbre.
Appartiennent à ce troisième groupe Harmonies, première des Études pour orgue (1 967), Continuum pour clavecin (1 968), le Deuxième Quatuor
à cordes (1 968), les Dix Pièces pour quintette à vent (1 968), Ramifications (1968-69) pour orchestre à cordes ou douze cordes solistes, dans fes
deux cas divisés en deux groupes accordés à un peu plus d'un quart de ton l'un de l'autre, la deuxième étude pour orgue, Coulée (1 969), le
Kammerkonzert (1969-70), Melodien pour orchestre (1971), le Double
Concerto pour flûte et hautbois (1972) et Clocks and clouds pour douze voix de femme et orchestre (1972-73).
Ces deux dernières œuvres, à l'instar de Ramifications, ont recours par endroit aux micro-intervalles, à l'origine du phénomène acoustique du
"battement" qui va de plus en plus intéresser Ligeti.
Un quatrième groupe, transversal, possède un statut particulier. Il rassemble des œuvres où s'exprime tout ce que les œuvres des trois autres
groupes tendent à refouler : l'inscription de la musique dans une histoire et dans un lieu donnés, les rapports de la musique et de
5 - Cité par P. MICHEL Gyôrgy Ligeti, op. cit. p. 56.
Brouillon d'un passage du Concerto pour violon, Lithographie @ Éditions
Schott.
phénomènes non spécifiquement musicaux
comme le langage, le corps et les émotions,
certains phénomènes physiques...
L'Avenir de la musique (1961) est une
"composition collective pour un conférencier
et son auditoire". Dubitatif quant à ce sujet de
conférence proposé lors d'un forum, Ligeti, qui
fréquente à cette époque le groupe
néodadaïste Fluxus, décide d'en faire dix
minutes de silence pendant lesquelles il
observe, chronomètre en main, les réactions
du public. Une fois ces dix minutes écoulées, il
relate à son auditoire les différentes étapes de
"l'œuvre". Les Trois Bagatelles pour piano
(1961) consistent en trois pièces silencieuses,
clin d'œil ironique aux 4'33" de John Cage.
Fragment pour orchestre de chambre (1961)
est une autoparodie constituée uniquement de
sons graves qui, selon les termes de Ligeti,
"rend Apparitions totalement risible" 5 Le
Poème symphonique pour cent nomes (1962)
tourne en dérision la musique aléatoire mais
aussi
les
concerts
de
musique
électroacoustique où le public écoute des
machines (les haut-parleurs).
Dix exécutants mettent en route les
métronomes, réglés à des vitesses différentes,
et quittent la scène ; la pièce s'achève lorsque
le dernier métronome (en principe le plus lent)
s'arrête.
Cette œuvre comporte néanmoins un aspect
polymétrique très sérieux, engendrant des
illuSions d'accélération ou de ralentissement,
qui sera repris notamment dans le troisième
mouvement du Kammerkonzert
Aventures et Nouvelles Aventures (1962-66)
pour trois chanteurs et sept instrumentistes,
avec ou sans mise en scène, appartiennent au
genre du théâtre musical et explorent le
potentiel phonétique et musical des émotions.
Celles-ci sont réparties en cinq catégories
(aversion plus ou moins sarcastique, tristesse,
rire, désir, peur) sans qu'aucun sens ne
parvienne à se constituer durablement 6. Le
caractère hâché des événements musicaux, où
le jeu instrumental et les gestes vocaux se font
écho de manière souvent grotesque, s'oppose
à l'écriture absolument continue des œuvres
"sérieuses" de la même époque.
6 - D'où l'appellation de "musique absurde" : voir l'afticie de Harald Kaufmann pubisé dans Musique en Jeu n o 15 Éd. du Seuii 1974 p. 75-98.
43
Enfin, Le Grand Macabre (1 974-77) est un
"anti-anti-opéra" qui intègre, en essayant de
les relier musicalement, de nombreuses
références musicales populaires aussi bien
que savantes, soit sous forme de citations,
soit sous forme d'allusions. Cette gigantesque
"kermesse flamande" à la Bruegel, où il est
question de la fin du monde, condense
l'ensemble des préoccupations musicales et
esthétiques du compositeur.
Le cinquième et dernier groupe d'œuvres
effectue, en quelque sorte, la synthèse des
quatre autres et même du groupe d'œuvres
appartenant à la période post-bartôkienne. Le
projet compositionnel de Ligeti, sans
renoncer aux recherches dans l'ordre du
rythmer de la combinaison des voix ou des
intervalles non. tempérés, s'assouplit au point
de redonner toute leur valeur à la ligne
mélodique et toute leur place à différentes
traditions musicales parmi lesquelles le
folklore hongrois. La mutation commence à
s'opérer au milieu des années soixante-dix.
Dans San Francisco Polyphony pour grand
orchestre (1973-74), trois pièces pour deux
pianos : Monument, Selbstportrait mit Reich
und Riley (und Chopin ist auch dabei) 7
Bewegung (1976) et deux œuvres que Ligeti
considère comme des exercices de style :
Hungarian Rock et Passaglia ungherese (1
978)
pour
clavecin,
l'écriture
micropolyphonique se fait davantage
polyrythmique ou polymélodique et les
allusions musicales sont de plus en plus
perceptibles.
La mutation s'accomplit définitivement- après
un silence compositionnel symptomatique de
quatre ans. Ligeti parvient à concilier
l'ensemble de ses idées compositionnelles,
refatives principalement à la perception des
structures rythmiques, de l'ordre et du
désordre, de la consonance et de la
dissonance, du nouveau et du déjà entendu,
tout d'abord dans le Trio pour cor (1982) écrit,
de manière un peu provocatrice, "en
hommage à Brahms", puis dans une suite
ininterrompue de chefsd'œuvre les Trois
Fantaisies d'après Hôlderlin (1982) et les
Études hongroises (1983) pour chœur mixte a
cappella, qui comportent certains aspects
"figuralistes", les Études pour piano (Livre I :
1985 ; Livre [l : 1 988-94 ; Livre III en
préparation) qui enrichissent la technique
pianistique grâce au procédé dit "des touches
bloquées", le Concerto pour piano (1985-88 ;
1991 pour la version définitive) dont le
deuxième mouvement fait appel à une flûte à
coulisse et à un ocarina pour réaliser des
harmonies non-tempérées, les Nonsense
Madrigals pour six voix d'hommes a cappella
(1988- 93) dont certains sont basés sur des
textes de Lewis Carroll et où sont cités, entre
autres, La Marseillaise et l'hymne anglais, le
Concerto pour violon (1 992) où l'on retrouve
deux flûtes à coulisse et quatre ocarinas et
dont le deuxième mouvement est un "hoquet"
à la manière de ceux de Guillaume de
Machaut, la redoutable Sonate pour alto ( 1
991-94)...
"L'art n 'est pas
une chose rigide" 8
La diversité et "l'harmonie" des couleurs
sonores du Kammerkonzert 9 ainsi que
l'équilibre entre tension et détente, statisme
et mobilité, fusion et différenciation, au
niveau de chaque mouvement comme à celui
de l'œuvre entière, en font un *'classique" de
la musique de la deuxième moitié du Xxe
siècle. Le Kammerkonzert rassemble, en
outre, fa plupart des procédés d'écriture que
Ligeti a imaginés depuis Apparitions et
Atmosphères. L'effectif instrumental se
compose d'une flûte (également piccolo), d'un
hautbois (également hautbois d'amour et cor
anglais), d'une clarinette en si bémol, d'une
clarinette basse (également deuxième
clarinette), d'un cor, d'un trombone, d'un
clavecin et d'un orgue Hammond ou d'un
harmonium (joués par un seul exécutant et
placés à gauche de la scène), d'un piano et
d'un célesta (joués par un seul exécutant et
placés à droite de la scène) et d'un quintette à
cordes (deux violons, alto, violoncelle,
contrebasse). Étant donné le caractère
particulièrement "interminable" de ('analyse
dans le cas des œuvres de Ligeti, nous serons
attentifs avant tout aux principales
articulations formelles de chaque mouvement
et ne mettrons l'accent que sur certains
procédés caractéristiques.
+ PREMIER MOUVEMENT
Le premier mouvement repose sur une
écriture continue, assez statique. Il prend
naissance avec une texture micropolyphonique
qui aboutit, après différentes transformations,
à un son unique (mi bémol), joué du grave à
l'aigu par sept instruments. Ce son correspond
à peu près à la section d'or du mouvement
(mesure 38 pour 62 mesures en tout, la
dernière mesure n'étant occupée que
partiellement : 61,5 sur 38 = 1,618) '0 . Ce mi
bémol est le point de départ d'une nouvelle
texture, d'abord très statique puis de plus en
plus instable, c'est-àdire de plus en plus
différenciée à tel point que cette texture
débouche sur un "chaos organisé" (à partir de
la mesure 54), caractérisé par l'éclatement
polyphonique et rythmique. Ce chaos se fige
rapidement, par ralentissement•et par
élimination de certains sons, se fixe sur
l'intervalle de septième majeure do - si
(mesures 61 et 62) puis s'évanouit. L'écriture
des deux textures est le plus souvent régie par
le principe du canon à l'unisson, principe
extrêmement fréquent dans les ceuvres de
Ligeti
Notons que Ligeti ne peut pas réellement
débuter ni achever son morceau, étant donné
le souci d'immanence qui caractérise sa
démarche musicale. Si l'on veut prendre une
image, Ligeti ne peut qu'allumer ou éteindre un
projecteur de manière plus ou moins
progressive, tout en disposant de nombreux
types et de nombreux angles d'éclairage. Le
matélui-même est virtuellement infini (il n'a
donc ni début ni fin) : il serait l'équivalent de
l'ensemble des possibilités sonores (en termes
de timbres et de modes de jeu mais aussi en
termes de "combinaisons" dans 4e temps)
propres à ta formation instrumentale choisie.
Au "début" du premier mouvement, Ligeti
éclaire le matériau d'une manière relativement
brusque, même si la nuance{est piano. Même
chose pour le troisième mouvement, qui
"'débute" par un sforzando, même si, ici aussi,
la nuance globale est doublë-piano et que Yon
n'entend qu'une seule note. À l'inverse, dans
les deuxième et quatrième mouvements,
l'éclairage est pius progressif. À l'autre
"extrémité", le premier mOuvement "s'achè-
7 "Autoportrait avec Reich et Riley (et Chopin est aussi à l'arrière-plan)" 8 G. LIGETI, entretiens in P. MICHEL op. cit. p.
9 - Partition éditée chez Sch0R n 0 6323, Mayence. Création le premier octobre 1970 à Berlin.
10 - no Hans-Peter 30 ou 12-13, 12) dans Éditions Kyburz, les œuvres l'Âge dans d'Homme, son. de Ligeti article : Lausanne, le "Fondements premier septembre et le d'une deuxième 1990,
interprétation mouvement montre par - du la ailleurs construction Kammerkonzert l'importance numérique comptent du nombre dans 143 le mesures 1 1 Deuxième (nombre en tout
premier Quatuor (62 + traduisant 81de = Ligeti", 13 x une 1 1), pubiié certaine le troisième dans "inexactitude" la mouvement Revue Contrechampspar 66 rapport mesuresà
{6 x 11), le dernier 55 mesure (5 x 11).
44
Certains canons sont partiels (ils ne concernent qu'une partie de la ligne mé(odique) et peuvent donc être
à ïepérer sur la partition. Ils SGût bien sûr quasiment indécelabies à l'oreille
qui ne perçoit qu'un "air de famille" plus ou moins prononcé entre les voix lorsqu'elle parvient à percevoir chaque voix !
ve" par un éclairage de plus en plus sélectif et
de plus en plus faible. Même idée pour le
deuxième mouvement dont l'éclairage
diminue progressivement. À l'inverse, dans le
troisième mouvement, l'éclairage est coupé
brutalement. Le quatrième mouvement,
quant à lui, connaît in extremis un
changement d'éclairage surprenant, que nous
commenterons au moment venu. En réalité,
chacun des quatre mouvements "s'achève"
par un silence noté sur [a partition, pendant
lequel le chef d'orchestre conserve les bras
levés et même, pour le troisième
mouvement, bat la mesure. On peut bien sûr
comparer ce silence à l'obscurité qui est, quoi
qu'on en dise, une des modalités de la
lumière, et non des moindres '2 .
Examinons l'évolution des textures de part et
d'autre du mi bémol "central".
En ce qui concerne l'ambitus, la
première texture est d'abord contenue dans
l'intervalle de tierce majeure (sol bémol • si
bémol) ; elle perd le sol bémol (mesure 10),
gagne le si bécarre (mesure 14) puis le do
(mesure 16), puis le ré avant le ré bémol
(mesure 26) puis le ré bémol (mesure 27) ; elle
perd ensuite, successivement (mesures 30,
32, 33 et 34), les six notes de sol à do inclus
pour se réduire à do dièse - ré, juste avant te
mi bémol. Les transformations s'effectuent,
par conséquent, selon un processus de
suppression de notes, compensée ou non par
des ajouts, ce qui peut évoquer certains
rapidement à ia septième majeure do si (qui
fait figure "d'ombre" de l'ambitus maximum).
La seconde texture se révèie donc nettement
plus distendue que la première, au point de se
rompre.
En ce qui concerne l'harmonie,
l'écriture micropoiyphonique a tendance à
faire fusionner les sons entre eux. L'harmonie
apparaît donc rarement dans son acception
traditionnelle de superposition de sons mais
plutôt comme l'un des aspects du timbre. Les
transformations de chacune des deux textures
donnent lieu à des couleurs plus ou moins
chromatiques, parfois diatoniques (comme à
la mesure 25) et, exceptionnellement, quasi
tonales (comme à la mesure 41 où émerge un
accord de la bémol majeur qui "absorbe" les
dissonances de l'orgue).
L'analyse du rythme harmonique nécessiterait
une étude approfondie pour déterminer avec
précision l'alternance des moments de
tension et de détente relative. En tout état de
cause, on peut relever six phases principales,
réalisant un certain équilibre : hyperchromatique au point de tendre vers le
*'bruit" (à cause de l'écriture micropolyphonique très serrée) tout d'abord, plus
diatonique à partir de la mesure 1 8, de plus
en pius chromatique à par. tir de la mesure 26,
homophonique à la mesure 38, de plus en plus
chromatique jusqu'à la mesure 46 puis très
fortement chromatique jusqu'à la fin.
phénomènes biologiques de croissance 13
La seconde texture s'origine du mi bémol
réparti sur six octaves (mesure 38) puis se
remplit" partieilement avec l'intervention de
l'orgue (mesure 39), du trombone (mesure
40), du cor (mesure 41) puis de nouveau de la
flûte, de la clarinette et de ia clarinette basse
(mesure 46).
Après ce passage très statique, elle se scinde
en trois "brins" (ou "trames") ayant chacun
leur ambitus (mesures 47 et 48) puis ne
conserve plus que le brin le plus grave
(mesure 51). Ce brin va se tramer avec un
nouveau brin très grave (mesure 54) puis les
deux brins vont "s'effilocher" en tout sens
(mesure 56 et surtout 57) : l'ambitus atteint
alors son maximum puis se réduit assez
45
En ce qui concerne la couleur (c'està-dire non seulement l'harmonie mais aussi
les timbres instrumentaux, les modes de
jeu et les intensités), elle est certainement
l'élément essentiel à l'origine de fa beauté
mystérieuse (et parfois dérangeante) des
œuvres de LigetiLe compositeur accorde,
de ce point de vue, un soin extrême à
chaque "fil" de ses textures qu'il noue,
torsade, tresse voire emmêle à d'autres fils,
avec une capacité de renouvellement
extraordinaire. l' est impossible de décrire
ici l'immense variété d'une palette
reconnaissable entre toutes, de surcroît en
perpétuel mouvement. Trois exemples
caractéristiques : a) Nous avons indiqué
pius haut de quelle manière Ligeti parvient,
au début de l'oeuvre, à mélanger les
timbres de la contrebasse, du violoncelle,
de la clarinette basse, de la clarinette en si
bémol et de la flûte de manière quasi
homogène. Cette première couleur (en
mouvement, faut-il y insister) est
prolongée, dans une variante plus
"intense" et surtout plus homogène, par le
quatuor à cordes avec sourdines à partir de
la mesure 9. Auparavant, entre les mesures
5 et 7, les deux violons et l'alto ont essayé
de se tresser avec chacun des cinq "fils" de
la couleur initiale, mais sans y parvenir. La
couleur propre aux cordes s'éparpille en
effet en taches minuscules (mesure 7)
résultant du rebond de l'archet sur les
cordes puis du jeu sur le chevalet. Ces
petites
taches
sont
elles-mêmes
rehaussées par l'intervention fugitive du
célesta (fin de la mesure 7) 14.
b)
La couleur du quatuor à cordes avec
sourdines, entre les mesures 30 et 37,
fluctue légèrement_ en fonction du mode
de jeu (avec la pointe de l'archet, sur le
chevalet, jeu normal, sur la touche). II ne
s'agirait plus de "dégradés" ni de "touches",
à l'instar du premier exemple, mais de
variations de la luminosité produisant un
"scintillement" plus ou moins important.
c)
La période de "chaos organisé" (ou
"d'effilochage") donne lieu à ce qu'on
pourrait comparer à un processus de
dissipation. Les couleurs mises au contact
{es unes des autres se désagrègent sans
parvenir à former immédiatement un mélange
homogène, comme lorsque l'on verse une
goutte de lait dans une tasse de thé.
En ce qui concerne la vitesse de
renouvellement de la couleur, c'est-à-dire ta
mobilité interne des textures, l'unité
conventionnelle de durée est la noire (sauf
entre les mesures 41 et 46 où il s'agit de la
croche). Cette unité se subdivise en toutes les
valeurs de 2 à 10, ces valeurs pouvant être
remplacées par des silences. En outre, on
rencontre des valeurs à jouer sans tempo, le
plus vite possible, et pouvant être superposées
aux valeurs strictement notées. Ligeti dispose
ainsi d'une échelle de mobilité extrêmement
souple dont il est impossible, à l'instar du
travail sur les couleurs, de rendre compte de
manière exhaustive- D'une façon générale, le
rythme, associé à la couleur et en particulier à
l'intensité, permet soit de jouer sur le degré de
différenciation des voix (des "fiis") de la
texture, soit (ce soit n'étant pas exclusif du
précédent) de jouer sur la perception des
vitesses (vitesse globale, vitesse de chaque
voix mais aussi vitesses "illusoires" résultant
de l'association spontanée, par l'oreille, de
certaines voix entre elles). Un exemple très
simple illlustrant [a
12
- De la même façon, il arrive que certains morceaux "commencent" par un silence noté, par exemple le Deuxième Quatuor à cordes.
13 - Le compositeur se réfère à des "structures quasi pour qualifier les procédés d'écriture utilisés dans le Kammerkonzert : voir P. MICHEL op. cit. p. 225 et "Entretien : Gyòrgy Ligeti avec
Clytus Gottwald" Revue lnHarmoniques no 2 mai 1 987 p. 221.
14 - Nous laissons de côté l'intervention du cor, du trombone et du hautbois dont nous parlerons plus loin. Notons que Ligeti maintient discrètement, dans ce passage comme dans beaucoup
d'autres, y compris dans les autres mouvements, le principe "traditionnel" de dialogue des familles instrumentale (bois, cordes, cuivres).
46
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Entretiens avec Ligeti (classés par ordre chronologique) :
ns permettent d'enfrevoir la diversité de ses centres d'intérêt, l'originalité de ses préoccupations musicales
ainsi que l'indépendance mais aussi la générosité de sa personnalité :
• "D'Atmosphères à Lontano, un enffetien entre Gyôrgy Ligeti et Josef Hâusler" Revue Musique en jeu n
o
15 Seuil septembre 1974 p.110-119.
• "Entretiens avec Gyôrgy Ligeti (28, 29 et 30 décembre 1981)" in P. MICHEL Gyôrgy Ligeti Minerve
deuxième édition revue et complétée 1995 p. 149-202.
• Monika LICHTENFELD "Conversation avec Gyôrgy Ligeti" Revue Contrechamps no 3 Éditions L' Âge
d'Homme Lausanne septembre 1984 p. 44-49 (Librairie L'Âge d'Homme, 5 rue Férou 75006 Paris).
• Edna POLITI "Entretien avec Gyôrgy Ligeti" Revue Contrechamps no 4 Éditions L' Âge d'Homme
Lausanne septembre1985 p. 123-127.
• "Enretien : Gyôrgy Ligeti avec Clytus Gottwald" Revue InHarrnoniques no 2 mai 1987 p.217-229.
Philippe ALBERA "Entretien avec Gyôrgy Ligeti" Musiques en création Co-édition
Festival d' Automne à
Paris - Revue Contrechamps 1989 p.87-95.
Ouvrages ou articles sur Ligeti (par ordre d'importance)
• Pierre MICHEL Gyôrgy Ligeti, op. cit. (l'ouvrage de référence en langue française, axé principalement
sur {e langage musical ; comprend de nombreuses analyses).
Éric ANDREASSON "Le style musical de Ligeti" Fiche Musique et Culture série 37 n o 2-3 février-mars
1992 BP 1 67015 Strasbourg (courte mais intéressante synthèse sur l'ensemble de l'œuvre de Ligeti et ses
enjeux musicaux).
Jean-Yves BOSSEUR "Gydrgy Ligeti" in Musique de notre temps Recueil I p. 135-139 Casterrnan 1973
(présenmtion fine et sensible de i' œuvre jusqu'au Kammerkonzert inclus ; en bibliothèque uniquement).
Antoine BONNET "Sur Ligeti" Revue Entretemps no I avril 1986 p. 5-15 (présente et discute les techniques
d'écriture de Ligeti jusqu'au Trio pour cor exclu, le rôle de la notation et la conception du temps musical).
"Dossier Ligeti Kurtag", Revue Contrechamps no 12-13 Éditions ['Âge d'Homme Lausanne septembre 1990
(contient notamment un court texte de Ligeti indtulé "Ma position comme compositeur aujourd'hui (1985)",
des études sur Le Grand Macabre, le Premier Livre des Études pour piano,
les Deux études pour orgue, Continuum, le Deuxièrne Quatuor et une importante bibliographie en langue
française, anglaise et surtout allemande).
• Dossier Ligeti, Revue Musique en Jeu 15 op. cit. (outre l'entretien cité, comprend une étude sur Aventures
et NouvelZa• AventurŒ, une étude sur ArtikuZation ainsi qu'une présentation succincte du
Kammerkonzert).
de G. LIGETI lui-même 'Mes Études pour piano (Premier Livre) Polyrythmie et création"
• Revue Analyse Musicale n
o 10
1988.
Diverses analyses d'œuvres de Ligeti sont parues dans les Fascicules du Baccalauréat n o 382 et no 392 de
ia Revue L'Éducation Musicale (sur Lux Aeterna), dans la Revue L'Analyse Musicale (sur le Concerto pour
47
violoncelle na 6 1987, sur 15 1989 et sur Lux Aeterna no 25 1991), et dans la Revue Musurgia (sur le
Deuxième Quatuor vol. no 4 1996).
première possibilité (la deuxième possibilité étant
à l'œuvre surtout dans le troisième mouvement)
• l'apparition, à la mesure 25, d'une longue tenue
Articles ou documents sur le Kammerkonzert
(sol - la si bémol - do joués par la contrebasse, le
o
cor, la flûte et la clarinette) renforçant la couleur
O. BERNAGER "Autour du Concerto de chambre de Ligeti" Revue Musique en Jeu n 15 op. cit.
(présensation succincte de chacun des mouvements).
de la texture jouée pendant ce temps, sur les
même notes, par le quatuor à cordes. Cette
P. BOULEZ "P. Boulez présente et difige : G. Ligeti. Concerto de chambre' cassette IRCAM.
• Radio-France série Le Temps Musical no 2 (analyse. exemples à l'appui, les différents types de texture
superposition de valeurs rythmiques très fentes
dans les ù-•ois premiers mouvements).
et très rapides tend à engendrer (mais cela n'est
J. CASTEREDE "Gyôrgy Ligeti (1923 Kammerkonzert (1970)" in Musique, langage vivant Tome 3 sous pas certain, c'est justement ce qui intéresse Ligeti)
la perception de deux plans distincts, c'est-à-dire
la direction de S. BÉRARD Zurfluh 1998 p.263-277 (analyse détaillée du premier mouvement).
d'un fond constitué par la tenue et de figures
• P. MICHEL "Concerto de chambT? pour treize instrumentistes (1969-1970) premier mouvement"
constituées par le quatuor à cordes. Il existe
cinquième paragraphe du chapitre "Notes analyüques" du livre Gyôrgy Ligeti, op. cit. p-224-235 (décrit
d'autres exemples plus nets de différenciation
procédés d' écriture propres au premier mouvement).
rythmique de la texture : mesures 1 8 et 19, 31 à
R. PENCIKOWSKI "Les points sur les i - le Concerto de chambre de Ligeti" Revue InHarmoniques no
33 et, évidemment, 54 à 62. Dans cette phase de
2 mai 1987 éd. Bourgois (concerne uniquement les logiques d'organisation des hauteurs dans le premier
mouvement).
"chaos", Ligeti agence rigoureusement non
seulement [es rythmes mais aussi les attaques, les registres et les dynamiques ; en outre, il agrandit' méthodiquement les intervalles tandis que
l'intervalle final de septième majeure est, à son tour, progressivement "troué" à partir de la mesure 59. Ces exemples nous amènent au dernier
point important de l'analyse de ce mouvement.
•
La différenciation rythmique peut aller, dans ce premier mouvement, jusqu'à l'apparition de motifs qui se détachent des textures.
Cet aspect de l'écriture de Ligeti, inauguré dans le Deuxième Quatuor, permet de complexifier le jeu sur la
différenciation des voix en les répartissant sur deux pians au moins (texture et mélodie) dont le degré de
différenciation peut lui-même varier 15 . On rencontre, dans le premier mouvement, trois motifs de ce genre
qui se distinguent de plus en plus nettement de la texture. Entre les mesures 5 et 7 tout d'abord : le cor,
puis le trombone, puis le hautbois doublé par la ciarinette basse, puis de nouveau le cor doublé par la flûte,
puis de nouveau le trombone, se partagent, par tuilage, un motif encore fortement enchevêtré dans la
texture (d'autant que ses neufs sons constituent la rétrogradation de la partie de flûte à partir du si bémol
de la mesure 4). Mesures 14 à 1 7-18 ensuite : les sons du cor (dont le dernier en bouchant le pavillon) se
détachent franchement de fa texture jouée par le quatuor à cordes, même si les notes sont communes
également. Mesures 49 et 50 enfin : les six
15 - Ligeti lui-même évoque tes dessins dŒscher (qu'il découvre juste après la composition du Kammerkon2ert, en 1 97 t). Dans ces dessins aujourd'hui très diffusés, le premier plan et
f'arrière-pian ou le haut et le bas se confondent souvent par un jeu d'illusions optiques.
48
instrumentistes à vent jouent un motif de six
notes (le plus saillant des trois), réparties sur
cinq octaves16 + DEUXIÈME MOUVEMENT
(l comprend cinq phases relativement
distinctes même si elles sont enchaînées.
Nous allons les anaiyser successivement, en
mêlant les "catégories" analytiques que nous
avons distinguées jusqu'à présent.
Le morceau prend naissance avec une
micropolyphonie de clusters évoluant
lentement, dans un ambitus maximum de
deux octaves. La densité de ces clusters varie
de huit à onze sons, répartis grosso modo en
arche entre les mesures 1 et 13 (la mesure 10
ne comporte exceptionneilement que sept
sons différents). La saturation chromatique
ainsi que la disposition des sons, les modes de
jeu (cordes en sons harmoniques, cor avec
sourdine) et I'intensité double-piano
produisent
une
couleur
étrange,
"transparente" pour reprendre t'indi cation
confié à des instruments dont le timbre est luimême réputé évoquer l'idee de distance ou
d'éloignement.
b)
Le second pian entrecroise cinq lignes
dans un ambitus comparable (sol grave la
bémol), allant en se resserrant graduellement
également. Chacune des lignes utilise toutes les
notes de ambitus (cette phase est donc
fortement chromatique, à l'instar d'ailleurs de
l'ensembie du mouvement). La clarinette, ia
clarinette basse et l'orgue sont en canon
mélodique à l'unisson (l'orgue à partir de la
douzième note de la clarineüe, c'est-à-dire le
sol dièse de la mesure 15) 17 .
La partie de piano, quant à elle, "amplifie" la
partie de flûte selon un procédé analogue aux
tropes médiévaux : chaque note de la partie de
flûte se retrouve dans celle de piano mais
entourée de nombreuses "interpolations" qui
compensent la différence de tempo entre les
deux instruments (voir exemple 2 en p. 50). Le
résultat global est d'autant plus complexe que
Pourtant, I t impression d'hétérophonie: g
s'insinue ou plutôt, comme toujours chez Ligeti,
l'impression
d'une
situation
musicale
intermédiaire
entre
homorythmie
et
hétérophonie. La raison en est que les
instruments sont divisés en trois groupes plus
ou moins distincts (ce qui permet, en outre, de
jouer de nouveau sur ta perception des plans) :
a)
La contrebasse, le violoncelle, le
trombone, le cor et la clarinette basse jouent,
dans le grave et dans une dynamique
relativement faible, des valeurs longues (mais
synchrones, répétons-le, avec celles des autres
instruments). Ils progressent, de plus, par
demi-tons avec crescendo et double-piano
subito, à l'instar des motifs de la première
phase.
b)
Les violons I et la clarinette, le
hautbois et la flûte jouent, dans l'aigu,
fortissimo "con fuoco", des valeurs brèves
entrecoupées de valeurs plus longues, à la
manière d'une violente harangue. Les parties
16 - On peut discuter du statut "textural différencié" (pour lequel j'ai opté plus haut) ou "motivique" des parties de vents, mesures 31 à 33. Cette question est, à vrai dire, insoluble : elle ne fait
que traduire les paradoxes auditifs concernant la perception des iignes et des plans, auxquels Ligeti est très attaché.
17 - (t existe également quelques rapports partiels de canon entre les deux plans, qui ne font évidemment qu'accroître l'incertitude de leur discrimination.
18 - On retrouve ce triton tenu dans dautres œuvres, par exemple Lontano ou Ramifications.
19 L'hétérophonie désigne l'execution simultanée d'une même mélodie par plusieurs voix ou instruments introduisant chacun des variantes plus ou moins importantes.
de registration de l'orgue à la mesure 5. Cette
couieur s'estompe encore davantage lorsque
l'orgue se retrouve seui à la mesure 10. Cette
première phase laisse cependant affleurer des
motifs "plaintifs" de deux notes, à distance de
demi-ton ascendant ou descendant, avec un
crescendo sur la première note -et un doublepiano subito sur la deuxième. Ces motifs se
détachent à peine du fond constitué par les
clusters, si bien que l'on a affaire de nouveau
à une dimension intermédiaire entre fond seul
(un seul pian) et figure esur fond (deux plans).
La deuxième phase est amorcée par
('accélération rythmique de la partie d'orgue,
à partir de la mesure 11.
Elie débute lorsque ia partie d'orgue
s'immobilise, à l'extrême fin de la mesure 12.
Une texture complexe à deux plans plus ou
moins distincts se met en place :
a)
Le premier pian fait entendre une
mélodie atonale en valeurs. longues, dans un
ambitus de septième mineure (sol dièse grave
- fa dièse) allant en se resserrant
progressivement. Cette mélodie, en trois
sections séparées par des silences, est jouée
par le trombone, le cor et le hautbois qui se
répondent, se tuilent voire se superposent par
endroit dans la deuxième et la troisième
section. Le deuxième mouvement du
Kammerkonzert évoque ainsi, lointainement,
les mouvements lents des concertos baroques,
classiques ou romantiques, le "chant" étant
non seulement les rythmes sont très souples
(les valeurs varient de deux à sept par temps)
mais que les huit instruments se voient
attribuer chacun un tempo spécifique, variant
de 54 à 100.
Le resserrement de l'ambitus, au cours de la
deuxième phase, mène à la superposition
diatonique do - ré - mi (mesure 32) puis
chromatique ré - mi bémol - mi bécarre
(mesure 34). La troisième phase s'ouvre à la
mesure 35 avec une tenue sur un triton (fa - SI)
réparti sur plusieurs octaves aux cordes et aux
bois (sauf le hautbois) 18. La sonorité
"transparente" de ce triton évoque la première
phase et fait également écho à la tenue du
premier mouvement. Le triton s'enrichit d'un si
bémol grave à la mesure 36 et, surtout, laisse
peu à peu émerger un motif de deux notes à un
demi-ton d'intervalle, à la flûte et au cor, autre
rappel de la première phase.
La quatrième phase s'enclenche brusquement,
à la fin de la mesure 39.
ElIe contraste fortement avec les précédentes
au moyen d'un type d'écriture inédit qu'on
pourrait qualifier "d'homorythmique •
hétérophonique"
Jusqu'à la mesure 72, tous les rythmes sont, en
effet, synchrones : la seule exception se trouve
à ia fin de la mesure 40 où le violoncelte, le
trombone et la clarinette basse jouent la
dernière croche de la mesure alors que les
autres instruments finissent un quintoiet de
doubies-croches-
sont en rapport de canon mélodique les unes
avec les autres.
c)
Le piano et l'alto isolent certains sons
ou bien ensemble de sons joués par le groupe
précédent (dans le deuxième cas, ifs sont
momentanément en canon avec eux).
Les canons mélodiques et surtout les accents
irréguliers qui résultent de l'intervention des
instruments du premier et du troisième groupe
ont pour effet de brouiller la perception
homorythmique et de générer une
quasihétérophonie.
Tout comme à la fin du premier mouvement,
cette "homorythmie - hétérophonie' s'enraye
peu à peu puis se fige : l'ambitus des deux
groupes aigus se décale progressivement vers
[e grave, tout en s'élargissant ; les valeurs
deviennent plus régulières à partir de la mesure
50 ; l'alto puis le violoncelle rejoignent les deux
violons entre les mesures 50
A partir de fa mesure 60, le tempo s'élargit,
l'instrumentation s'allège, l'intensité diminue,
les rythmes ne dépassent plus quatre valeurs à
la noire alors qu'ils ailaient jusqu'à six. À la
mesure 69, il ne reste plus que les cordes qui
connaissent un ultime frémissement sur une
tenue de la contrebasse, du trombone, de la
clarinette basse et de la clarinette. Après cette
dépense d'énergie, la torpeur deux autres. Le
caractère agité et fantasque, sinon fantastique,
du morceau l'apparente à une sorte de scherzo.
49
Ce sont des tremblements autour d'une seule
note (m) qui mettent en branle la mécanique
s'ajoutent neuf, seule exception, puis sept, puis
s'installe à nouveau dans la
remplacées cinquième phase
silences).
pièce s'éteint avec des- clusters
de mi à do "transparents" de
dièse fa dièse (mesure 5) puis à do
aux
bécarre - fa dièse avec
troisième phases. Le
ré
(mesure 8 dernier cluster, joué par
basse, la clac) Les trois
rinette et la flûte, se ramifie en
cordes) constituent Cinq motifs de
des groupes de voix, ou
chromatiquement,
soit
distincts qui se en descendant, soit
superposent dans cet ordre jusqu'à
sol,
la mesure 5 puis
souvenir de la première
le
mesu'hase.
re 6 pour ne
motifs à base de demi-tons à
progressiveturont donc irrigué
constituée par la contrebasse, {u
la clarinette I, la clarinette II et la
flûte puis la tenue seule (do- ré- mi
TROISIÈME MOUVEMENT
trois éléments évoluent d'une
matériau
sous
un
symétrique, d'autre 'gle à
six, puis cinq valeurs par temps jusqu'à la
mesure 6 ; à la mesure 7, restent des rythmes
composés de cinq à sept valeurs puis, de la
mesure 8 à 1 1, de trois à cinq (toutes ces
valeurs pouvant être
(mesure 73). La par
des
b) L'ambitus s'élargit
sept
à
neuf
sons,
non mesurés, faisant écho
absence du première et
dièse et du fa bécarre
-i'alto, l'orgue, la clarinette
familles
instrumentales
(vents,
claviers,
deux à quatre notes
"quasiprogressant
plans", relativement
en
montant,
et se rejoignant sur la note
disparaissent dans ultime
même ordre à partir de la
laisser que le quatuor .es
cordes sur une tenue
l'ensemble
ment
mouvement, mise à part {a
teuxième
phase.
- fa dièse).
Remarquons que ces
part chacun de présente le
manière
non
nouveau totalement diffé-
"calcule" à chaque fois de manière
explique Ligeti luiPaul Klee Chemin principal et chemins latéraux
ème 1. De fait, si le premier et le
très précise.
(1929, Cologne, collection privée) reproduit in Marcel MARNAT Paul Klee.
:cond mouvement relèvent la
Si la première phase voit la mécaÉd. Hazan 1985, @ Hazan/A.D.AG.P Paris.
lépart du temps d'une écriture de
nique commencer par se gripper, la
Ligeti déclare souvent trouver dans la peinture de Paul Klee un travail
'pe "nuage"' (clouds), le troisièseconde phase connaît un "embalsur la perception des lignes, des plans et des couleurs comparable au sien.
le mouvement relève d'une écrilement" de plus en plus délirant.
ure de type "horloges" (clocks).
Elle débute à la manière de la prein d'autres termes, le troisième
mière phase par une note unique,
part ensemble de manière non nt. "La troisième partie est quasi
simultanée. Ligeti tient beaucoup, Scanique, comme si un étrange
dans toutes ses œuvres mais tout oareil de précision à moitié
spécialement ici, à cette inexactituTaqué se mettait en mouvede
et à cette multiplicité, qu'il
2nt" ,
nouvement choisit le grain contre l'ailure de savamment déréglée du mouvement. Les la bémol (mesure 12), répartie sur un ambitus la matière
sonore n . Ce choix d'une matière attaques sforzando, le pius souvent décalées de quatre octaves. Tous les instrumentistes, plus ou moins '*hérissée",
c'est-à-dire dont les mais aussi parfois synchrones, tendent à faire sauf le contrebassiste, sont mobilisés pour "piquants" sont plus ou moins denses,
plus ou ressortir chaque voix. La différenciation poly- répéter cette note le plus vite possible, la mui-moins réguliers ou plus ou moins "pointus",
phonique demeure cependant relative ou plu- tiplicité rythmique provenant à la fois des entraîne inévitablement une certaine différen- tôt, une
nouvelle fois, incertaine. Cette incer- capacités de chaque instrumentiste et des spéciation de la polyphonie. La progression s'ef- titude entre
polyphonie et texture résulte du cificités organologiques et acoustiques de fectue ici selon trois phases, la première traitement particuiier de la
mobilité ryth- chaque instrument. Chaque ligne se met alors constituant un "faux départ', la seconde com- mique, de l'ambitus et de la couleur : à
converger très lentement, suivant sa lenteur portant trois moments différents, la dernière a) Les rythmes se superposent et augmentent propre,
en descendant ou en montant (selon "tranchant" de manière humoristique avec les peu à peu : huit valeurs par temps auxquelles sa situation dans
l'ambitus) demi-ton par
- LIGETI "Concerto de Chambré', in Passages du XX' siècle, première pattier janvier-juillet 1977, traduction E Regnault Ed. IRCAM et Métiers graphiques 1977 p. 101, cité par P. MICHEL
op. cit. p. 86.
21 Ligeti parle d'un "continuum granuleux" en note de la mesure 12.
1
50
51
demi-ton (les cordes et le trombone glissant
progressivement, de surcroît, entre chaque
demi-ton), en direction du centre de l'ambitus,
qui n'est autre que le mi du début du
mouvement. Mais ce processus s'avère, lui
aussi, inexact : beaucoup d'instruments
n'atteignent pas ce centre ; d'autres (la main
droite du clavecin et le violon ID le dépassent ;
la cfarinette Il, quant à elle, diverge.
Le second moment de la deuxième phase
s'amorce lorsque les pizzicati fortissimo de la
contrebasse, à partir de la mesure 32, puis ceux
des autres instruments à cordes viennent se
greffer sur le processus de convergence en train
de se dérouler (processus qui s'estompera peu à
peu, par extinctions successives des lignes
jusqu'à la mesure 40). Les rythmes de ces
pizzicati (sur fe chevalet, donc très "agressifs")
sont spécifiques à chaque instrument . triolets
de croches à la contrebasse, croches décaiées
d'un quart de temps au violoncelle, triolets de
noires décalés d'un sixième de temps à l'alto,
quintolets de croches au violon Il, septolets de
croches au violon l, cela pour les mesures 32 à
34. La complexité rythmique s'accroît encore
davantage lorsque les tempi deviennent à leur
tour spécifiques, à partir de la mesure 35 (à
l'exception du tempo du vioIoncelle et du violon
l, mais ces instruments jouent de toute façon des
rythmes différents), puis lorsque le piano et le
clavecin font feur entrée sur des clusters,
mesure 38. Cette complexité ne débouche pas
pour autant sur une texture, à cause, d'une part
des modes de jeu (pizzicati "Bart6k" et, pour les
claviers, staccatissimo molto secco), d'autre part
de la disposition écartée des sons (du do dièse
grave au contre-ré pour la disposition la plus
écartée). Plus que d'une polyrythmie, qui
suppose une pulsation commune, il s'agit ici
d'une polymétrie, c'est-à-dire d'un jeu sur la
perception des vitesses. Le temps s'écoule à une
vitesse différente pour chaque "horloge" dont le
fonctionnement, qui plus est, peut luimême
varier. Dans cet univers à la fois relatiViste et
imprévisible, c'est-à-dire fondamentalement
loufoque, il est évidemment impossibie de
préciser l'heure !
Le troisième et dernier moment intervient
mesure 41, à l'occasion d'un "filtrage" brutal du
matériau : le piano et le clavecin, restés seuls
mesure 40, laissent place aux triple-pizzicati
doubie-piano du quatuor à cordes, cette fois
arpégés de bas en haut et de haut en bas, le plus
vite possible. Ces tripie-pizzicati forment un
"tapis" rappelant le processus de quent, portées
générale, l'écriture mélodique des textures est
libre ou, mieux, inexacte, à l'instar de
l'inexactitude de l'écriture rythmique du
troisième mouvement : il faut probablement y
voir la conséquence de la vitesse qui "courbe"
l'espace et déforme la perspective. Parvenus
sur les deux notes mi et la graves en quasitrémoto (en fait, huit valeurs par temps), les
52
DISCOGRAPHIE
II est intéressant de pouvoir comparer
différentes versions du Kammerkonzert.
En effet, même si la notation est
extrêmement précise, le jeu sur les
couleurs sonores et celui sur les rapports
entre les voix sont très complexes à
mettre en œuvre. Cinq versions sont
actuellement disponibles en France :
Ensemble InterContemporain,
direcüon P. Boulez (1982) DG
439452-2GCLEnsemble InterContemporain, direction
P. Boulez (1988) AUVIDIS MO 780518.
Reihe Ensemble, direction F. Cerha (1973)
WERGO 6901-2.
Reihe Ensemble, direction E Cerha
WERGO 60162 - 50.
• Ensemble Modern, direction P. Eôtvos
(1990) SONY SK 58945.
à leur comble. À ia mesure 53, le sentiment
polymétrique est d'ailleurs sur le point de
s'effacer au profit de perception d'une texture.
Passé ce sommet délirant, les instruments
s'arrêtent un à un, à partir de la mesure 54, pour
ne laisser que le quatuor à cordes à la mesure
59.
La dernière phase, à partir de la mesure 60, fait
entendre inopinément l'équivalent d'une
sonnerie de réveille-matin (matérialisée par les
trilles des clarinettes I et Il et du piccolo). Ces
horloges détraquées n'étaient qu'un mauvais
rêve, une hallucination auditive probablement
née du tic-tac régulier et beaucoup moins
inquiétant d'une horloge "ordinaire". Le
dormeur, mal réveillé, perçoit encore dix
battements de ces horloges démoniaques, logés
à l'intérieur de la sonnerie, c'est-à-dire sur les
mêmes notes que ceile du trille (si - do dièse ré - mi bémol aigus). Le chef d'orchestre, luimême subjugué, reste encore quelques secondes
la proie du cauchemar et continue à battre une
mesure tout seul, avant le point d'arrêt "final".
+ QUATRIÈME MOUVEMENT
Il constitue la synthèse des trois autres par les
types d'écriture utilisés (centrés sur l'ailure aussi
bien que sur le grain) et par certaines
réminiscences textuelles. Il rappelle en outre le
rondo "classique" par son tempo globalement
rapide et par la présence d'un "refrain" qui
débute chacune de ses trois phases.
La première phase s'ouvre avec une texture
particulièrement "emberlificotée" issue des
deux lignes des clarinettes en si bémol (c'est
cette forme de la texture qui fait office de
refrain). L'ambitus se déplace progressivement
d'un ton (de ré - sol à mi - la graves) tout en étant
progressivement "troué" (le sol à la mesure 3
puis le fa dièse et le fa bécarre à la mesure 4 puis
le sol dièse à la mesure 5), ce qui rappelle les
processus biologiques de croissance du premier
mouvement. Mais l'analogie avec le début du
premier mouvement s'arrête là : l'écriture
mélodique des deux lignes n'obéit pas au
principe du canon mélodique même si, dans la
première mesure par exemple, avant que le sol
dièse ne soit introduit, 'es trente intervalles
possibles à l'intérieur de l'ambitus de quarte sont
utilisés (à une exception près, l'intervalle ré - sol
justement, certains intervalles étant, en outre,
utilisés deux fois ou par l'une des deux lignes
seulement). Dans ce mouvement, d'une manière
convergence parcourant les deux moments
précédents, d'autant que leur note centrale (et
exceptionnellement la note grave du violoncelle
à partir de la mesure 48) glisse lentement
également, soit en montant, soit en descendant
(ce nouveau processus s'éteint mesure 50). Sur
ce tapis, prend place un second jeu
polymétrique, d'abord "complémentaire" du
premier au niveau de la couleur (ce sont, en
effet, les vents qui dominent, le piano et le
clavecin représentant les seules "touches"
communes). Mais à partir de la mesure 50, le
quatuor à cordes entre progressivement et dès la
mesure 53, les treize instrumentistes jouent tous
ensemble sur le total chromatique, réparti sur
presque cinq octaves. Ce second jeu
polymétrique, outre le caractère grotesque des
sons graves et stridents des sons aigus, se révèle
encore plus détraqué que le premier : si tous les
rythmes sont spécifiques, à l'instar du premier
jeu et s'il y a peu de tempi différents, ces tempi
sont
"élastiques"
(ils
ralentissent
progressivement, de plus de manière
nonsynchrone) et surtout, ce second jeu compte
jusqu'à treize horloges différentes alors que le
quatuor à cordes, lui-même "coloré" par le
premier jeu n'en comportait que sept maximum.
célesta, à la mesure 7.
Les illusions concernant la vitesse giobale et les
Cette mesure voit l'ambitus diverger
vitesses relatives sont, par conséclarinettes passent le relais au quatuor à cordes brusquement vers l'extrême grave et le
à fa mesure 6 cependant que la contrebasse suraigu, selon des canons mélodiques inexacts
tient [e mi grave ; puis les clarinettes entre la clarinette l, la clarinette Il, les deux
interviennent à nouveau en se superposant au mains du célesta et les deux violons d'une part,
entre l'alto et le violoncelle d'autre part (voir
exemple 3 en p. 51). La texture se reconstitue
alors sous une forme très différente, avec des
sons piqués (qui rappellent bien sûr [e
troisième mouvement) et dans un registre aigu
(fa dièse aigu contre-fa). Les piqûres très
rapides, confiées au clavecin, aux deux
clarinettes, au hautbois et à la flûte piccolo, aux
quelles s'adjoignent les violons I et Il (fin de la
mesure 8), le piano (mesure 9) et le célesta
(mesure 11) sont jouées sur des rythmes
complexes, quasi tremblés (de deux à neuf
valeurs pat temps et même le plus vite
possible). est à nouveau apparentée aux autres de manière inexacte. Les couleurs
rapidement, non plus en fonction des
groupes..inStrumentaux comme dans les
autres mouvements, mais en fonction d'une
instrumentation *divisionniste" isolant chaque
instrument (ou paire d'instruments pour les
clarinettes et les violons). L'ambitus, quant à
lui, converge peu à peu vers l'aigu tandis que
l'instrumentation s'allège graduellement si
bien qu'il ne reste plus, à la fin de la mesure 14,
que le piano et le clavecin qui trillent sur le
contre-mi et le contre-fa, réminiscence du trille
précédant le "centre d'or" du premier
mouvement.
La seconde phase débute à la mesure 15 avec
une forme-limite de la texture, c'est-à-dire une
seule ligne, jouée simultanément par la
darinette basse et la flûte piccolo à quatre
d'intervalle, et centrée sur le fa dièse,
aboutissement du trille précédent. Cette
"variante" de la forme initiale de la texture, à
valeur de refrain, est bien une texture
obéissant, entre autres, aux principes
d'utilisation plus ou systématique des
intervalles disponibles et de neutralisation du
rythme (ici grâce à la régularité rythmique
alliée à la rapidité du tempo). L'ambitus
s'élargit assez rapidement jusqu'à atteindre, à
la mesure 18, ré - si bémol (toujours à quatre
octaves d'intervalle), soit une tierce majeure
de part et d'autre du fa dièse initiai. À partir de
cette mesure, les autres instruments
interviennent ponctuellement, soit à l'unisson
ou à l'octave, soit à d'autres intervalles. Mais il
s'agit toujours du même et unique fil, plus ou
moins épaissi ou "coloré" suivant les cas. A la
mesure 22, le cor s'insère imperceptiblement
dans la texture, ce qui va provoquer la
dislocation de celle-ci dans te courant de la
mesure 25.
Le cor joue une véritable mélodie, rappelant
les bribes mélodiques du premier
mouvement et la mélodie atonale du
second. Cette mélodie, "colorée" par les
cordes (mesure 24) et prolongée par les bois
(mesure 25), présente des sons tous
différents. Le douzième son, le sol bécarre
au piccolo, est alors le point de départ d'un
"commentaire" du piccolo qui fait entendre
trois fois (la troisième fois incomplètement)
une "série" de onze sons renforcés par
moment par les attaques, à l'unisson ou à
l'octave, des autres instruments. Mais les
clusters triple-forte du piano, apparus dès la
mesure 24, parviennent à "absorber" le
commentaire du piccolo, même s'ils se font
de moins en moins denses : Ligeti indique en
effet, à la mesure 29, qu'il faut jouer ces
clusters encore plus vite et "frapper comme
un malade". La fin de la mesure 29 et 'a
mesure 30 constituent, à ce titre, le second
palier du morceau, suraigu et dominé par le
bruit des marteaux . La troisième phase
s'ouvre à la mesure 31 22 avec un autre
"retour varié" de la texturerefrain. La texture
est d'abord jouée, "férocement" comme
l'indique Ligeti, par la contrebasse seule (il
s'agit donc à nouveau d'une texture - figne) ;
viennent s'y ajouter ensuite des lignes
différentes jouées par la main gauche du
piano jusqu'à la mesure 36, puis par le
violoncelle suivi de la clarinette basse à
partir de la mesure 36 (l'entrée de la
ciarinette basse étant renforcée par deux
impacts du trombone à l'unisson). L'ambitus
se fait progressivement moins grave tout en
se "trouant" et finit, au cours de la mesure
40, par se fixer sur un triton (do dièse - sol
graves) en quasitrémolo, selon un processus
assez comparable à celui du refrain initial
entre les mesures 1 et 5. Ce triton, à la fin de
la mesure 40 et de la mesure 41, constitue
un palier secondaire séparant la troisième
phase en deux moments plus ou moins
distincts. Le quatuor à cordes, double-piano,
prend le relais à la mesure 42, sur de grands
intervalles et dans un ambitus de plus en
plus étendu. Les vents ainsi que l'orgue
interviennent ensuite pour faire entendre
des motifs de deux notes (trois pour l'orgue
mesure 50) à un demi-ton d'intervalle (un
ton pour le trombone et le cor, mesure 49),
en crescendo avec piano subito sur la
deuxième note, réminiscences du deuxième
mouvement. Enfin, les vents et les cordes se
retrouvent entre les mesures 49 et 51, soit
sur des tenues (contrebasse, orgue,
trombone, cor) soit sur des lignes très rapides,
aux larges intervalles, qui finissent par
s'interrompre ou se fixer elles-mêmes sur des
tenues (quatuor à cordes, clarinette basse et
clarinette si bémol, hautbois, flûte). À la fin de
la mesure 53, la texture se trouve immobilisée
sur un triton (la - ré dièse) réparti sur plusieurs
octaves et rendu instable par les tritles sur
différents la, réminiscence à la fois du triton
du deuxième mouvement et du trille du
premier mouvement.
Le mouvement "s'achève" par une coda à la
fois caustique et désinvolte (mesures 54-55) :
d'abord, un motif "féroce" de huit notes
jouées staccato, rappel des déréglements du
troisième mouvement ; ensuite, un glissando
clownesque du trombone ; enfin, des sauts de
onzième ou de douzième, éparpillés entre le
célesta, l'orgue, la clarinette et la flûte,
fragment5 dérisoires de l'écriture texturale.
Pied de nez à soi-même autant qu'à l'auditeur.
"La musique naît de
l'imagination mais c'est
la possibilité d'imaginer
d'autres choses qui
compte "23
L'enjeu fondamental du Kammerkonzert,
comme de la plupart des œuvres de Ligeti,
c'est sans aucun doute ce qu'on pourrait
nommer "f'expérience de ['écoute". Écouter,
c'est avant tout être attentif. Cela signifie qu'il
n'y a
22 - Notons que les grandes articulations de ce quatrième mouvement suivent, de manière égaiement *inexacte", la
progression de 'a suite numérique de Fibonacci dont la
limite est le Nombre d'Or (I, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 88...) : modification importante de la texture à la fin de fa mesure 7, deuxième phase à la mesure 15, mélodie de cor à la mesure 22
troisième phase à ia mesure 31, 55 mesures en tout. 23 - G. LIGETI, entretiens in P. MICHEL op. cit. p. 169.
Exemple 1
53
2-60
4 Corrente (FlieBend)
ExempZe 2
SS
Exemple 3
9
9
54
peut transformer en "mal entendu" et peutêtre même un nonaudible qui excéderait
voiontairement les Capacités physiologiques
de la perception humaine. On comprend dès
lors que l'expérience de l'écoute à laquelle
convient les œuvres de Ligeti suppose
inévitablement une
nuer'do
o
x
Celesta
o
(kaum
Cel.
audibleF X
0x1.-
poco a poco ord,
a poco sul • pont.
poco a poco _ord., poco a poco su
Via.
Ve.
o
(suono ma lè
at nient*
o.
Cb.
pas d'écoute lorsqu'on croit savoir ce qu ron va entendre et plus d'écoute lorsqu'on croit
savoir ce qu'on a entendu. La projection a priori ou la constitution a posteriori d'un sens
musical sont antinomiques avec [e fait d'écouter ; autrement dit, l'attention se situe en
deçà ou au-delà de toute représentation intellecTout l'effort compositionnel de Ligeti consiste à susciter et à maintenir, pour pouvoir
l'explorer, l'attention auditive. Cet effort porte essentieltement sur quatre domaines
liés recherche de l'inouï, ia maîtrise du temps, le jeu sur l'illusion et la dimension
humoristique. L'inouï, c'est à ia fois le "sans précédent", le démesuré et,
étymologiquement, le nonentendu, voire le non-audible. Nul besoin de revenir sur
l'originalité des procédés d'écriture de Ligeti, en particuEier de l'écriture
micropolyphonique. Il suffit d'insister sur la remise en cause des points de repères
historiques, stylistiques et esthétiques qu'ils induisent. Face à cette musique, l'auditeur
est désarmé et même, éventuellement, plongé dans le désarroi : il est dès lors en
posture d'écouter, s'il veut bien se prêter au jeu. La démesure, quant à elfe, au-deià de
('outrance "bruitiste" de certains types d'écriture (dans l'extrême-grave ou le suraigu
notamment), se situe au niveau du timbre qui est la catégorie maîtresse, sinon l'unique
catégorie de la musique de Ligeti. En renonçant à toute rhétorique musicale (sauf sous
forme d'allusions), la musique de Ligeti confronte l'auditeur à l'irreprésentable de la
"couieur sonore", qui plus est en mouvement : pas plus que l'on ne peut décrire une
couleur, sinon métaphoriquement, on ne peut décrire un timbre, a fortiori lorsque celuici est combiné "micropolyphoniquemenf' avec d'autres ti mbres.
Enfin, le non-entendur voire ie non-audibie résident bien évidemment dans la
complexité des procédés d'écriture de Ligeti. Il y a toujours quelque chose qui échappe
dans l'écriture micropoiyphonique et ses différents aspects : une ligne, une figure
mélodique, une harmonie, un rythme... jusqu'aux notions mêmes de ligne, de figure,
d'harmonie, de rythme. Il subsiste toujours un non-entendu qu'aucune réaudition ne
55
certaine expérience de l'angoisse : celle de la
perte des points repères habituels, celle de
l'irreprésentable, celle du surhumain, voire de
l'inhumain.
La maîtrise du temps est strictement
corrélative de l'assomption du timbre. La
"couleur sonore" ne peut pas apparaître
comme telle, en effet, sans une mise hors jeu
des autres paramètres", en particulier du
rythme. Le rythme pouvant être défini comme
la périodisation résultant de ia dialectique du
même et de l'autre, sa neutralisation (par
'*compensation" micropolyphonique des
valeurs comme dans fe premier mouvement,
par augmentation importante comme au
début du deuxième mouvement, par
superposition complexe comme dans le
troisième mouvement ou par diminution
extrême comme dans le quatrième
mouvement) implique la confusion du même
et de l'autre ou, si l'on préfère, le "brouillage"
de leur distinction.
Aucune répétition dans la musique de Ligeti et
pourtant un seul et même matériau ; aucun
recours à l'altérité et pourtant un
renouvellement permanent du matériau. De ce
fait,
ee
temps
chez
Ligeti
est
fondamentalement celui de la présence,
autrement dit un temps maîtrisé au sens fort
du terme, c'est-à-dire immobilisé, sans passé ni
futur, éternel jaillissement ou éternité
jaillissante. Il ne faut pas se méprendre, à cet
égard, sur l'impression de successivité que
pourrait dégager l'analyse du Kammerkonzert.
La représentation verbale d'un phénomène,
quel qu'il soit, induit quasiinévitablement sa
"mise en récit', comme le montre le philosophe
Paul Ricœur dans Temps et Récit. Or, les
œuvres
de
Ligeti
constituent
des
déploiements, non des développements, des
éclosions, non des tribulations. Leur forme
relève de la continuité d'une persistance, non
des intermittences d'une insistance (sauf à
titre allusif de nouveau). Même si les œuvres
de Ligeti ne peuvent que se donner dans fe
temps, c'est-à-dire de manière successive, leur
temporalité est comparable à celle d'une
photographie à la durée d'exposition très
longue (en l'occurrence, plusieurs minutes
pour
chacun
des
mouvements
du
Kammerkonzert). Par conséquent, le temps au
sens courant de déroulement à trois
dimensions (passé, présent, futur) est luimême neutralisé, il sert uniquement de
"révélateur". À l'intérieur de chaque œuvre, le
temps demeure cette immobilité vive" dont
parle Roland Barthes à propos de la
photographie 24 L'absence quasi totale de
dimension discursive dans la musique de Ligeti,
résultat de la primauté du timbre et de
l'immobilisation du temps, a pour contrepartie
un formidable pouvoir de suggestion. Parce
qu'il
se
présente
comme
sonorité
tendanciellement pure, le matériau évoque
virtuellement toutes les œuvres dont les
sonorités sont voisines (sans parler des
connotations non spécifiquement musicales).
Le quatrième mouvement du Kammerkonzert,
à partir de la mesure 8, peut renvoyer à la
magie du feu de Wotan, dans la Tétralogie de
Wagner ; le troisième mouvement peut laisser
entendre en filigrane les scherzos des quatuors
de Barték ; les clusters très lents et décolorés
du second mouvement font penser à certaines
œuvres pour orgue de Messiaen ; la fin du
premier mouvement peut se rapprocher de
certains passages de Erwartung ou de Die
glüchliche Hand de Schoenberg. Ces illusions
historiques restent bien sûr incertaines : ce
sont des "sous-entendus" et non des citations
à proprement parler. Elles prennent cependant
de plus en plus la forme d'allusions volontaires
à partir du Deuxième quatuor et du
Kammerkonzert
(nous les avons signalées) et se doublent en
outre, quasi-systématiquement, d'illusions
psycho-acoustiques : limites timbre /
harmonie, rythme / allure ou grain, texture /
polyphonie, polyphonie / voix ou groupes de
voix (plans), rythme / tempo, timbre composé
/ timbre composite, indécidabilité de la
hauteur et du tempo, phénomènes
"résultants" (battements, motifs ou rythmes
tranversaux...). Ce jeu sur Yillusion prémunit
du risque que les ceuvres de Ligeti soient
perçues comme "du" Ligeti et que leur
caractère inouï s'atténue d'autant. L'écoute
reste mobilisée parce qu'elle est assaillie par
l'incertitude ou l'ambigu'lté : elle n'en croit pas
ses oreilles !
Cette exigence d'écoute pourrait devenir
étouffante et, du coup, se voir menacée dans
son existence même, si Ligeti ne faisait pas
preuve d'une grande Eiberté dans sa démarche
compositionnelle. Le grotesque qui côtoie le
sublime, la rigueur qui s'allie à la désinvolture,
une façon de contrarier les symétries ou les
proportions trop évidentes, une certaine
théâtralité du geste musical, tout cela introduit
de l'inattendu (par quoi Kant définissait le rire),
voire du saugrenu, et par là même relance
l'écoute. li semble déplaire en premier lieu à
Ligeti lui- même de faire "du" Ligeti. Le
compositeur reste critique vis-à-vis de luimême tout en faisant face à la finitude non
seulement inévitable mais nécessaire de
l'œuvre. S'it compose à n'en pas douter avec la
plus grande conviction, il n'en reste pas moins
conscient des imperfections de certaines
ceuvres, de leur caractère "expérimental" ou
"inabouti". Chez Ligeti, les choses sont
sérieuses parce qu'elles savent rester tégères.
Les ceuvres de Ligeti nous "parlent/' en
définitive de cette modestie assumée, c'est-àdire joyeuse, qui non seulement n'exclut pas
mais conditionne bel et bien l'imagination de
l'inimaginable.
24 - R. BARTHES La Chambre claire - Notes sur la photographie. Éditions de l'Étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 81 .
Pour comanander disque compact ou cassette des œuvres impdsées au
baccalauréat
Disque compact : France* 160 F - Dom-Tom, Étranger* 180 FF - Cassette : France* 100 F - Dom-Tom, Étranger* 115 FF
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L'Éducation Musicale - 31, avenue Victor-Hugo - 27200 VERNON - Tél. : 02 32 21 37 44 - Fax : 02 32 54 68
01
2
-
253 -
-
CONCERTO pp ÇHN<BRP, pour treize instrunentiBtes (
1969 / 70)
I Corrente; 2 Oaimo sostenuto,} 3 Morvimento preciso e mecca—
nico,; Presto,
(L 'Eneemble Ars Nova sous la direction de Mario Bonaventura,
Jeudi 6 Août 20 heures 30, à i t Auditorium des Halles)
"Le titre de N Concerto Bignifie que les treize parties
instrumentales sont toutes écrites pour des musiciens d t une
égale virtuosité et que on ne trouve pas dans cette oeuvre de
en " BO
et
comme c t est le cas dans le concerto
traditionnel. Au Lieu de cela, ce sont différents groupes de
stee qui jouent en
la texture poly— phëliique
demeurant néanmoins toujours très claire
Comme c' est le cas pour toutes neg compositions' depuis le
ma Ileu des années soixante, le langage musical de cette oeuvre n
t est ni tonal, ni atonal 8 il n t y a • ni' centres tonaux, ni
combinaisons ou progressioùs harmoniques qui pourraient être
analYB6ee da façon fonctionnelle F par ailleurs, les douze song
de échelle chromatique ne sont pas traités comme des notes
possédant une égale valeur, ainsi qu t en va dans la musique atonale
et sérielle. Certaines combinai gons spécifiques d t
val les
Jouent un rôle prédominant et déterminent le cours de la musique
omnrne le développement de la forme. La polyphonie complexe des
voix
individuelles
est
incorporée
au
sein
d
flux
t
dans lequel les harmonies, c
est dire les
agrégations verticales d tintervalles, ne pas de façon subite,
mais se fondent les unes dans les autres : une combinaison d
tintorvalles clairement audible est ad-nsi progres— Bivoment
altérée, et, partir de ce brouillage, il est possi— ble de
peroevoir une nouvelle combinaison d t intervalles qui prend forme
peu peu.
Chaque mouvement du Concerto de chambre est caractérisé par
une tex Eure rythmique particulière et par un type de nouve— ment
ep'cifique. Le premti.er mouvement est doux et fluide; les figures
rythmiqueg y constituent un tissu sonore unifié. La texture du deuxième
mouvemalt est plus homophone. Au début I t énoncé musioal est
statique; mais il est ensuite brisé par des fi tures rythmelques très
vigoureuses. Cette séquence est de caractère dynamique; et, au Tur et
à mesure qu' elle se déroule, la Btructure harmonique se modifie
lentement, jusqu t à ce qu t elle culmine dans une
de
plusieurs quintes superposées. Le treiBièm• mouvement est quasi—
mécanique et ressenble à un bizarre néoa-nigrne de précision à moiti
6 détraqué qui se mettrait en marche. Dans ce mouvement, la polyrythmie
et Im polymétrie sont particulièrement marquées (ces techniques sont
utilisées également dans les autres mouvements, mais à un degré
moindre) Le quatrième mouvement est très rapide et exige une très
grande virtuosité. II ressemble à un mouvement perpétuel, rne-ls le
pres— to se désagrège et se mine de I ' intérieur : IA musique,
on d±.re, se dé chire en lambeaux et finalement se désintègre
com— piètement. Des bribes de mélodies tournent en rond, mais elles
ne mènent nulle part et n t aboutissent rien; tout ge passe comme la
musique était envahie des lianee.
(Gy6rgy Ligeti)
pensée en t s E aces c Qï7ip1exes et la tec.hniaue c cri e E
çcneay:te n ' amenèrent -vite à des problèmes compositionnels dont
t ion n ' était plus déterrninée principalement par es -tr E ri
f
t ions de couleurs sonores la dissolution des intervalles n'y
était également plus de première importance. La fonction déterminant
e pour la f orne passa de I ' interpénétration d ' éléments
entiers à un complexe supérieur unifié, supprilü&lüt totalemen
t les élé.-nents sonores a ü i le
et E e c portant de
par envers la véritable " structure" musicale
un cor:poEé envers
un rué lange en chimie.
Gyôrgy Ligeti (1967 )
(Traduction
française
Pierre Michel)
de
EXTRAIT PROG 13/06/87 - EXTASIS 87
AUTOUR DU CONCERTO DE CH-è.y:BRE DE LIGETI
Ecrit en 1969/70 pour Friedrich Cerha et son enselltble viennois
'Die Reihe , "Le Concerto de chambre" rassemble treize musiciens
solistes . Voici les effectifs instruraentaux:
6 instrurnents à vent : flûte (et piccolo) , hautbois
( égal ement hauftbois d' amòur et cor anclaiE
clar=nette, clarznette basse, cor, t
5 i nstrürnents à cordes : 2 violons, alto, violcncelle
et contrebasse
I groupe de 4 claviers joué par 2 musiciens : piano,
ce lesta, clavecin, orgue Harnrnond .
"Le Concerto de charabre" est une oeuvre concise, tant du point
de,-. vue des effectifs, (Ligeti connu d abord cornne s
réduflt
son orchestre à 13 solistes) que du point de vue du langage musical
: rien n'est dû, dans cette oeuvre, à des effets de rnasse orchestrale com-rne dans
" ou " Èpparitions " . Parce
'il condense et rassernble la plupart des procédés d'écriture
propres à Ligeti, le " Concerto de chambre" est . certainement I '
oeuvre qui perrnet d aborder la production de cet auteur avec le
plus - de profit. C'est la . raison pour laquelle nous l'avons
choisi, pour présenter, à partir de certaines de ses caractéris—
tiques compositionnelles, l'oeuvre de Ligeti, en général .
Premier
mouvement "
trames —rythmes
"
Les toutes premières mesures présentent un long motif construit sur
5 notes (fa dièse, sol, la bémol, la, si bémol) et sur les
intervalles qui en découlent. Ces notes constituent des Divots ou
des témoins et leur répétition selon des figures rythmiques
constalnment variées permet la reconnaisance d tune trame. Le com-.
positeur confie celle—ci aux vents. Ce même rnotif est bientôt repris
par les • cordes, surimpressionnant 'l'effet dû aux vents.
Le seul fait d' animer par une écriture rythmique extrêmement
complexe des trames construites sur un nombre restreint de sons et
d' intervalles perlnet à 1' oreille de percevoir une unité et,
personnaliser chacune des trames. Cette reconnaissance
des trames est essentielle pour suivre le déroulement musical de
' oeuvre : . ne faisant pas appel aux données habituelles de la
composi t ion , comrne la perception d 'une mélodie, d ' une
dynamicue orchestrale etc. . . celles—ci doit présenter un matériau
sonore repérable et identifiable ; tel est le rôle des trames . D
'où I ' importance des modalités d'enchaînement de celles-ci . Dans
le or eraier mouvement du Concerto de chambre ' c'est surtout une
course de relais est présentée. Les différents aroupes d ' in—
strurnents s 'y échangent les sons—témoins constitués en trames
selon deux procédures principales : le fondu-enchaîné ( gui justifie
la métaphore de course de relais) et la brusque E upture ( " coupé—
cut ) .
Les trames sont souvent construites sur un nombre minimun de sons
qui durent très longteynps; parfois plusieurs minutes . Outre les
oppositions dont nous venons de parler à propos des tramesrythraes
, celles—ci sont d ' abord reconnaissables par la f i xi té des
hauteurs et la petitesse des intervalles . Dans "Lanta no'
"{eu
des hauteurs s'ouvre en éventai autour d'un la bémol. Cepen— dant
les quelques . sons proches du la bémol sont pri s en charae, les
uns après les autres par tous les intrumen ts de 1 orchestre. C'
est donc la " couleur" sonore de la trame qui change
imperceptiblement . D'où I 'aspect dessiné des partitions de Ligeti
. Dans le cas de " Lontano " l'on aperçoit nettement des pages
écrites en diagonale du fait de 1 ' entrée de chaque instrurnent à
interval le réculier. C' est surtout ce type d ' écriture qui
entraîne 1-:ne •-, impression de statisme, d ailleurs revendiqué
par le cornoo— siteur.
Second Mouvement
" Construction harrionia-ue
Les trames de Ligeti sont construites harrnoniquement, cela veut
dire que I' oreille perçoit un accord à 1' intérieur duquel elle
peut s'installer du fait de sa durée.
Dans le cas- _ du second mouvement du Concerto de chambre " nous
sornmes particulièrement en présence de ce phénomène harrnonique .
La première trame reste statique pendant les 15 premières Ille—
sures . Celle—ci s 'organise autour d'un accord de 12 sons d if—
férents . Ceux—ci ne sont pas tous donnés dès le début et leur mode
d ' apparition est déterrniné par la volonté de les organiser en un
système de tierces . Utilisant les 12 sons de la gamme chro— mati
qüe sans doublure, il arrive nécessairement un moment où le système
de tièrces est saturé, où la dissonance s ' impose d elle— même .
Ligéti recornpose alors un nouveau système de tièrces autour de la
dissonance, conservant le plus possible les sons de I ' ancien
accord et n' introduisant de son nouveau gue par degré conjoint .
Cette construction en tuilaqe rejoint en un sens le procédé de
fondu—enchaîné, et sa fonction essentielle est de ne pas changer de
manière définitive la couleur sonore d pas— sage, ce qui ajoute
encore à la perception de I 'unité de la trame. L'on peut trouver
un condensé de cette technique d 'écriture dans le solo d'orgue des
mesures 11 et 12.
Si l'on écoute le pas sace aaité 't de ce Illouvement , me sores 60
et 7 3 , I' on perçoit que la technxgue de tu il age harricnigue
fait égal errient fon ct i on ner les trame s — rythme s Dans ce
passace,
' oreille n ' identifie pas tout de suite que chaque mesure est
construite autour d 'une note pivot distribuant les intervalles Ce
n'est que lorsque I 'on a déduit que I 'on est en présence d' une
descente chromatiguer que I 'on peut se rendre compte de la conduite
en tuilaae de chacune des voix.
Troisième mouvement
'Pulsions
Avec le trois i ème mouvement , nous pénétrons dans un univers total
ernent diff évent . Faisant a ppe I à des pulsions rythrn_i gues
différentes et indépendantes les unes des autres ( chaque instrurnent
doit répéter la même note régulièrement) , Ligeti donne à cette
pièce son caractère de mécanique impertubable, conforInénent à I'
indication "movimento preciso e meccanico" . La technique d' écriture
par trames est mise ici à I épreuve dans son maximum d ' efficacité
et son max inurn d extension .
L'efficacité c' est 1 'écriture répétitive r staccato, 1 ' accent
u— ation délibérée de entrée de chaque instrument dans le j eu)
orchestral . Le max irax.ra d ' extension, c ' est de réduire la
trame a la personna té sonore de chaque instrument, quitte à utiliser
celui—ci à la Iimite de ses possibilités .
Quatrième mouvement
" Hé I odie de t
Enbre'
les trames sont ressérées et en perpétuel mouvement. Les enchaînements
se font par I ' échange, d 'un groupe instrumental à I ' autre, du
rna€ériau initial. Celui—ci "voyage" donc sans arrêt
contrairement,
aux pièces précédentes, l'auditeur n'a pas le temps de s ' installer dans
un univers sonore définissable. Seule une longue mélodie de cor et de
flûte piccolo vient fixer un in— s tant le déroulement fugitif de cette
mélodie de tirnbre.
Olivier Bernager
ALBAN BERG
Alban Berg est considéré depuis longtemps conne le compositeur le
plus proche du romantisme dans le groupe de I t Ecole de Vienne .
Profondément influencé par la tradition, il participe à la grande
révolution de ' atonalisrne et utilise les théories de Schoenberg
dans un esprit très personnel .
"
Z ERT "
Cette oeuvre a été écrite pour le 5 Oe anniversaire d ' Arnold
Schoenberg . Dans la lettre de dédicace à son maître, Alban Bera lui
fait part de son obsession du chiffre 3 (et ses multiples) dans
l'élaboration de l'oeuvre,
EXTRAIT CD "UM MUS" - AEF UMM 102
KAMMERKONZERT
Le Kammerkonzert de Gyôrgy Ligeti pour
treize instrumentistes a été composé en 1
969-70 pour Friedrich Cerha et son
ensemble «Die Reihe» de
Vienne et créé le 1 er octobre aux
Berliner Festwochen. L'oeuvre est écrite
pour flûte ou piccolo, hautbois ou hautbois
d'amour ou cor anglais, clarinette en si
bémol, clarinette basse et deuxième
clarinette, cor, trombone ténor, clavecin ou
orgue Hammond (ou harmonium), piano ou
célesta, deux violons, alto, violoncelle et
contrebasse. Elle comporte quatre
mouvements . Corrente, Calmo, sostenuto,
Movimento preciso e meccanico, Presto.
D'où vient que Ligeti, si l'on en luge par sa
discographie, est l'un des compositeurs les
plus populaires et les plus joués ? Dans le
Kammerkonzert, la distribution des
mouvements analogue à la séquence bien
connue Allegro, Adagio, Scherzo et Presto
finale n'étonne pas le familier de la musique
classique. On pense pius d'une fois à un
concerto grosso : aucun des instruments
solistes n'a la vedette, le compositeur les
interpelle par groupes de deux, trois ou
davantage. Mais surtout, Ligeti écrit
constamment en fonction de
l'oreille des auditeurs et des auditrices. Ennemi de
On entre dans le Corrente
par un
toute cérébralité, il ne renonce iamais aux séductions
ieu
de
relations
du timbre instrumental. Dans chaque mouvement, il
intervalliques dont le détail a peu d'importance. Ce qui
nous conduit d'un moment à l'autre par un réseau de
compte, c'est la texture globale, d'où émergent parfois
transitions touiours «lisibles> où contraste de façon
quelques instruments particuliers et des cellules
claire le caractère des différents passages. Il est peutrépétitives.
Mais
voici
qu'apparaissent
des
être le Ravel de notre époque.
superpositions de trames, en alternance avec des
rythmes irréguliers. Un signal déchire l'espace et nous
prévient que le paysage va changer, suivi d'un trille
longuement prolongé. Notes tenues à l'octave,
superpositions de strates instrumentales où viennent se
greffer des figures individualisées et retour du ieu
permutationnel du début... Vers la fin, Ligeti, en ayant
recours aux registres les plus radicalement opposés,
réussit à suggérer, avec les treize instrumentistes,
l'épaisseur d'une formation symphonique.
l'oreille que chaque instrument reste souvent sur
la même note, mais avec des déphasages tels
qu'on se croirait convié à un concert d'insectes où
chacun aurait décidé de jouer sa partie en ignorant
ses voisins. Eclats stridents dans les aigus,
effacement progressif, aècidents sur entretiens de
trilles et arrêt brusque.
Calmo, sostenuto. Comme dans un désert dont
l'uniformité serait interrompue par de rugueuses
rocailles... Le compositeur tisse des trames qui ne sont
pas exemptes de gravité, voire de tragique, suivies
d'une longue séquence homorythmique dure et
accusée. Puis tout se ralentit, se déglingue, et le tissu
des notes tenues se raréfie progressivement.
Presto. On retrouve le ieu permutationnel du début
mais Ligeti ioue systématiquement sur les contrastes
de l'orchestration. Il ne s'interdit pas quelques
mélismes lyriques. Puis tout devient fébrile : le piano
s'anime dans l'extrême aigu, la contrebasse, 'comme
folle», rivalise de férocité dans le grave. Tout se
termine dans la discrétion : on est déçu et surpris que
ce soit déjà fini.
Movimento preciso e meccanico. Ici, Ligeti
superpose des rythmes, d'autant plus clairs à
Jean-Jacques
NATTIEZ
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