Gyërgy Ligeti et le Kammerkonzert pour treize instruments Jean-Pierre Dambricourt Université de Rouen "Chez moi, la musique est toujours à la fois processus et I objet" e qui caractérise principalement le style de Ligeti et ne manque pas de frapper l'auditeur, ce sont la continuité temporefle et la. tendance à la résorption de chaque voix au profit d'une texture globale. Ces deux -caractéristiques sont la conséquence d'un changement radical d'attitude vis-à-vis du matériau musical, dont l'initiateur est incontestablement Varèse. Le matériau n'est ni produit ni saisi à travers des opérations logiques, combinatoires ou quantifiantes, étrangères à sa matérialité (comme dans le système tonal d'écriture ou la technique sérielle), mais il est considéré, autant que faire se peut, de manière immanente. Cela -signifie que le matériau ne préexiste pas à l'œuvre et/ou que l'œuvre n'est pas le résultat de la manipulation du matériau. L'œuvre produit le matériau en ('explorant, ou encore, l'œuvre et le matériau sont une seule et même réalité. Chez Ligeti, on peut dire, d'une façon généra[e, que (es différentes voix représentent autant de "composantes spectrales" d'un méta:imbre en évolution constante. Ce projet com)ositionnel implique de renoncer à tout "dis"ours" musical : introduire et conclure, déveopper, opposer des éléments, dépasser une )pposition, effectuer une parenthèse... les pro:édés rhétoriques sont inopérants, du c moins ont-ils profondément réinterprétés. .a musique de Ligeti ne raconte rien, elle 'rend audible" ; elle ne représente rien (même (1969-1970) entendre, même si elle ne "parle" pas ? Et surtout, comment rendre compte du matériau luimême ? Nous tenterons de répondre à ces questions en nous appuyant sur le Kammerkonzert Au préalable, nous situerons la démarche de Ligeti dans l'histoire de -la musique de la deuxième moitié du XXe siècle et nous présenterons son oeuvre. "Je n 'accepte pas les normes restrictives, qu 'elles soient politiques, philosophiques, musicales, je veux toujours tout remettre en question. " 2 Gyôrgy Ligeti, aujourd'hui naturalisé autrichien, naît en 1923 en Transylvanie, région de tangue hongroise (la langue maternelle de Ligeti), roumaine et allemande. Sa famille étant d'origine juive, Ligeti souffre d'un antisémitisme d'abord latent puis déclaré ; son père et son frère meurent en déportation. Ligeti souffre également du totalitarisme communiste qui règne en Hongrie à partir de 1945 jusqu'à la mort de Staline-en 1953, à tel point qu'il s'enfuit de son pays pour rejoindre l'Autriche puis l'Allemagne, quelques semaines après la répression de la Révolution de 1956. Ces violences de l'Histoire ont laissé des traces indéniables dans ses oeuvres, sous la forme d'une angoisse sous-jacente que Ligeti chercherait tout à la fois à susciter et à maîtriser (nous y reviendrons pour terminer). Ligeti reçoit une : solide formation classique, d'abord dans sa région natale puis à l'Académie Franz-Liszt de Budapest. est à remarquer que Ligeti compose dès le début de - G. LIGETI, "Entretien avec Philippe Albèra", Musiques en Création, Coédition Contrechamps - Festival d'Automne à Paris, 1 989, p. 89. - Ibid. p. 93. comprendre dans ce que sa musique donne à 41 son apprentissage musicai. Jusqu'à sa fuite hors de Hongrie, Ligeti ignore tout ou presque des bouleversements musicaux de l'Europe occidentale après la Première Guerre mondiale. il connaît un peu Stravinsky mais pas du tout ou presque les musiciens de l'École de Vienne (Schônberg, Berg et Webern). Son awdèle est essentiellement Barték, ce dont éT0igneat les premières œuvres de son catalogue : des pièces pour chœur a cappella ou vent pour piano, (1953) les et Six surtout Bagatelles le Premier pour quintette Quatuorà (1954) sous-titré "'Métamorphoses nocturnes" que certains musicologues considèrent comme le septième quatuor de Barték. En fait, ce Premier Quatuor, hyperchromatique et hypercontrapuntique, n'est séparé que de quelques pas des options musicales à venir. Ligeti déclare d'ailleurs avoir eu la "vision" (c'est le terme qu'il emploie) 3 dès cette époque, d'une musique faite d'ensembles sonores enchaînés, sans rythme ni mélodie perceptibles, mais n'être pas véritablement parvenu à la mettre en œuvre. Le "déclic" se produit lorsque Ligeti côtoie soudainement la jeune avant-garde européenne en Allemagne, à partir de 1956. If rencontre Stockhausen, Berio, Maderna, Boulez, à Cologne, dans les studios de la Radio, ou à Darmstadt, où se réunissent, durant l'été, les •eunes compositeurs du monde entier. La usique avant-gardiste des années cinquante partage en trois courants principaux : le ourant sériei, représenté par les compositeurs récités, le courant électroacoustique, repréFenté par Pierre Schaeffer et Pierre Henry en France, par Stockhausen, Eimert et Koenig en Allemagne ou par Berio en Italie et le courant de la musique indéterminée, représenté principalement par des musiciens américains comme John Cage, Morton Feidman ou Earie Brown. Ligeti synthétise de manière originale ces trois courants, sans renier certaines de ses attaches à la musique moderne de la première moitié du XXe siècle (notamment en matière de formation instrumentale et de notation). il devient, du coup, un musicien inclassable, ce qu'il revendique avec fierté, cherchant de surcroît à enrichir et à renouveler constamment son propre style- 42 De la musique sérielle, Ligeti retient le souci de la précision de l'écriture et celui d'un certain systématisme dans la mise en œUVre des procédés compositionnels. De la musique électroacoustique surtout, il conserve le sens de la vie interne du son et transpose queiquesunes de ses techniques fondamentales à i'écriture traditionnelle : mixage de différentes couches sonores avec modification 'éventueile de leur vitesse de défilement, filtrage de certaines fréquences, modification de l'enveloppe (c'est-à- dire de la "forme" du son, caractérisée par ses trois moments principaux attaque, entretien, désinence) par ralentissement et montage, contrôle de la masse (c'estàdire de la hauteur globale), de l'allure (c'està-dire du taux de vibrato), du grain (c'est-àdire des micro-aspérités qui peuvent devenir des accidents), de la brillance (c'est-à-dire du taux d'harmoniques aigus) et du caractère composé (plusieurs sonorités superposées ou juxtaposées perçues comme un tout) ou composite (plusieurs sonorités superposées ou juxtaposées séparables par l'orei(le) du son. De la musique indéterminée, il garde l'idée de la manifestation d'un potentiel sonore, l'idée d'une matière sonore à laisser résonner selon ses propres possibilités et non selon des principes imposés de l'extérieur. L'ensemble de ces influences se retrouve dans la technique d'écriture au fondement du style de Ligeti et que le compositeur appelle la "micropolyphonie" ou encore la "polyphonie saturée". Un exemple particulièrement clair en est fourni par le début du premier mouvement du Kammerkonzert (voir exemple I en p. 50). Les instruments (notés en sons réels) jouent dans un ambitus étroit de tierce majeure (sol bémol - si bémol). Ils sont associés deux par deux : d'une part le violoncelle et la clarinette basse, la contrebasse prolongeant la partie de violoncelle, d'autre part la clarinette et la flûte. Au sein de chaque paire, les rythmes sont systématiquement différents, les intervalles sont le plus souvent de sens contraire, tout en étant plus ou moins apparentés. En réalité, tous les instruments jouent en canon à l'unisson, non-0'thmique évidemment (la clarinette démarrant, la flûte répondant à partir de sa deuxième note, le violoncelle, associé à la contrebasse, à partir de sa troisième note et la clarinette basse à partir de sa quatrième note). Au sein de chaque partie, il n'y a jamais plus de deux intervailes de même sens et les vingt intervalles possibles à l'intérieur de l'ambitus choisi (quatre secondes mineures, trois secondes majeures, deux tierces mineures et la tierce majeure, ascendantes ou descendantes) sont énoncés systématiquement (voir la partie de clarinette ou celle de flûte). Le tout aboutit au "brouillage" de la perception non seulement du tempo mais aussi des dimensions rythmique, mélodique et même intervallique, brouillage accentué par la proximité des timbres, des intensités et des modes de jeu (violoncelle et contrebasse en sons harmoniques notamment) des cinq instruments. La fusion ainsi obtenue engendre le sentiment d'une matière musicale "vivante", évoluant selon sa logique interne, indécelable de l'extérieur. On voit donc que Ligeti met en oeuvre des procédés d'écriture rigoureux, dans l'esprit de la musique sérielle (mais aussi, en un sens, de la musique "traditionnelle" avec l'usage du canon mélodique), de manière à neutraliser la perception de chaque voix individueile au profit d'une couleur sonore globale, dans l'esprit de la musique électroacoustique, et à créer l'illusion d'une auto-organisation du matériau, dans l'esprit de la musique indéterminée. À Cologne, Ligeti travaille tout d'abord à des pièces électroacoustiques : deux pièces qu'il considère comme des essais, Glissandi (1957) et Pièce électronique n o 3 (1957-58 ; inachevée), et Artikulation (1958), dans laquelle a lieu une sorte de "conversation imaginaire", purement électronique. Même si ces pièces contiennent en germe de nombreuses caractéristiques du style qui naîtra quelque mois plus tard, Ligeti n'est pas satisfait des possibilités, somme toute très limitées à l'époque, de la musique électroacoustique. li transpose alors l'expérience acquise à l'orchestre traditionnel dans Apparitions (3 958-59 ; aucun enregistrement) et Atmosphères (1 961), puis à l'orgue dans Volumina (1 961-62) où l'organiste est amené, entre autres, à éteindre et rallumer le moteur de la soufflerie. Ce premier groupe d'œuvres établit la renommée de Ligeti et constitue le véritable coup d'envoi de son nouveau style. Dans ces œuvres, la micropolyphonie prend une forme à la fois rudimentaire et radicale : celle de clusters, c'estàdire de "grappes" de sons en grand nombre (jusqu'à 87 dans Atmosphères lorsque tous les instruments jouent), généralement à distance de ton ou de demi-ton, et évoluant très lentement4. Dans un deuxième groupe d'œuvres, Ligeti fait alterner des zones de saturation chroma- 3- Voir par exemple Ee documentaire que lui ont consacré Judit Kele, Arnaud de Mézamat et Michel Follin, réalisation Michel Follin (1 993), co-production Artiine Films Paris, les Productions du Sablier Bruxefles, La Sept, RTBF, Magyar TeleVizio, Centre C. Pompidou, ou encore les entretiens de Ligeti avec P. Michel in P. MICHEL Gyôrgy Ligeti Minerve 1995 p. 155. 4 - La notation reste cependant très précise, les rythmes étant très subtils, ce qui différencie les clusters de Ligeti de ceux de Penderecki ou de Xenakis à la même époque. tique, à la manière des œuvres du premier groupe, avec une polyphonie moins dense. Cette alternance de tension et de détente relative réintroduit très discrètement un principe de constitution de la forme musicale de nature dramatique et constitue donc un premier infléchissement de son projet compositionnel. Dans ce deuxième groupe figurent le Requiem (1965) pour soprano, mezzo-soprano, deux chœurs mixtes à cinq voix et orchestrer Lux Aeterna ("Lumière éternelle" 1 966) pour chœur mixte -a cappella, œuvre atonale mais largement diatonique (ces deux œuvres ayant été popularisées par 2007, l'Odyssée de l'espace de Stanley Kubrick qui fait également appel à Atmosphères), le Concerto pour violoncelle (1966) et Lontano ("Lointain" ; 1967) pour grand orchestre, écrit d'après les mêmes prtncipes musicaux que Lux Aeterna, même si la pièce sonne de manière très différenteDans un troisième groupe d'œuvres, Ligeti infléchit une nouvelle fois sa démarche musicale en composant pour des effectifs restreints, voire pour des instruments solistes. Certains contours mélodiques ou rythmiques émergent par moment, les différentes voix retrouvent une certaine individualité et, du même coup, les notions d'intervalle et d'harmonie peuvent l'emporter sur celle de timbre. Appartiennent à ce troisième groupe Harmonies, première des Études pour orgue (1 967), Continuum pour clavecin (1 968), le Deuxième Quatuor à cordes (1 968), les Dix Pièces pour quintette à vent (1 968), Ramifications (1968-69) pour orchestre à cordes ou douze cordes solistes, dans fes deux cas divisés en deux groupes accordés à un peu plus d'un quart de ton l'un de l'autre, la deuxième étude pour orgue, Coulée (1 969), le Kammerkonzert (1969-70), Melodien pour orchestre (1971), le Double Concerto pour flûte et hautbois (1972) et Clocks and clouds pour douze voix de femme et orchestre (1972-73). Ces deux dernières œuvres, à l'instar de Ramifications, ont recours par endroit aux micro-intervalles, à l'origine du phénomène acoustique du "battement" qui va de plus en plus intéresser Ligeti. Un quatrième groupe, transversal, possède un statut particulier. Il rassemble des œuvres où s'exprime tout ce que les œuvres des trois autres groupes tendent à refouler : l'inscription de la musique dans une histoire et dans un lieu donnés, les rapports de la musique et de 5 - Cité par P. MICHEL Gyôrgy Ligeti, op. cit. p. 56. Brouillon d'un passage du Concerto pour violon, Lithographie @ Éditions Schott. phénomènes non spécifiquement musicaux comme le langage, le corps et les émotions, certains phénomènes physiques... L'Avenir de la musique (1961) est une "composition collective pour un conférencier et son auditoire". Dubitatif quant à ce sujet de conférence proposé lors d'un forum, Ligeti, qui fréquente à cette époque le groupe néodadaïste Fluxus, décide d'en faire dix minutes de silence pendant lesquelles il observe, chronomètre en main, les réactions du public. Une fois ces dix minutes écoulées, il relate à son auditoire les différentes étapes de "l'œuvre". Les Trois Bagatelles pour piano (1961) consistent en trois pièces silencieuses, clin d'œil ironique aux 4'33" de John Cage. Fragment pour orchestre de chambre (1961) est une autoparodie constituée uniquement de sons graves qui, selon les termes de Ligeti, "rend Apparitions totalement risible" 5 Le Poème symphonique pour cent nomes (1962) tourne en dérision la musique aléatoire mais aussi les concerts de musique électroacoustique où le public écoute des machines (les haut-parleurs). Dix exécutants mettent en route les métronomes, réglés à des vitesses différentes, et quittent la scène ; la pièce s'achève lorsque le dernier métronome (en principe le plus lent) s'arrête. Cette œuvre comporte néanmoins un aspect polymétrique très sérieux, engendrant des illuSions d'accélération ou de ralentissement, qui sera repris notamment dans le troisième mouvement du Kammerkonzert Aventures et Nouvelles Aventures (1962-66) pour trois chanteurs et sept instrumentistes, avec ou sans mise en scène, appartiennent au genre du théâtre musical et explorent le potentiel phonétique et musical des émotions. Celles-ci sont réparties en cinq catégories (aversion plus ou moins sarcastique, tristesse, rire, désir, peur) sans qu'aucun sens ne parvienne à se constituer durablement 6. Le caractère hâché des événements musicaux, où le jeu instrumental et les gestes vocaux se font écho de manière souvent grotesque, s'oppose à l'écriture absolument continue des œuvres "sérieuses" de la même époque. 6 - D'où l'appellation de "musique absurde" : voir l'afticie de Harald Kaufmann pubisé dans Musique en Jeu n o 15 Éd. du Seuii 1974 p. 75-98. 43 Enfin, Le Grand Macabre (1 974-77) est un "anti-anti-opéra" qui intègre, en essayant de les relier musicalement, de nombreuses références musicales populaires aussi bien que savantes, soit sous forme de citations, soit sous forme d'allusions. Cette gigantesque "kermesse flamande" à la Bruegel, où il est question de la fin du monde, condense l'ensemble des préoccupations musicales et esthétiques du compositeur. Le cinquième et dernier groupe d'œuvres effectue, en quelque sorte, la synthèse des quatre autres et même du groupe d'œuvres appartenant à la période post-bartôkienne. Le projet compositionnel de Ligeti, sans renoncer aux recherches dans l'ordre du rythmer de la combinaison des voix ou des intervalles non. tempérés, s'assouplit au point de redonner toute leur valeur à la ligne mélodique et toute leur place à différentes traditions musicales parmi lesquelles le folklore hongrois. La mutation commence à s'opérer au milieu des années soixante-dix. Dans San Francisco Polyphony pour grand orchestre (1973-74), trois pièces pour deux pianos : Monument, Selbstportrait mit Reich und Riley (und Chopin ist auch dabei) 7 Bewegung (1976) et deux œuvres que Ligeti considère comme des exercices de style : Hungarian Rock et Passaglia ungherese (1 978) pour clavecin, l'écriture micropolyphonique se fait davantage polyrythmique ou polymélodique et les allusions musicales sont de plus en plus perceptibles. La mutation s'accomplit définitivement- après un silence compositionnel symptomatique de quatre ans. Ligeti parvient à concilier l'ensemble de ses idées compositionnelles, refatives principalement à la perception des structures rythmiques, de l'ordre et du désordre, de la consonance et de la dissonance, du nouveau et du déjà entendu, tout d'abord dans le Trio pour cor (1982) écrit, de manière un peu provocatrice, "en hommage à Brahms", puis dans une suite ininterrompue de chefsd'œuvre les Trois Fantaisies d'après Hôlderlin (1982) et les Études hongroises (1983) pour chœur mixte a cappella, qui comportent certains aspects "figuralistes", les Études pour piano (Livre I : 1985 ; Livre [l : 1 988-94 ; Livre III en préparation) qui enrichissent la technique pianistique grâce au procédé dit "des touches bloquées", le Concerto pour piano (1985-88 ; 1991 pour la version définitive) dont le deuxième mouvement fait appel à une flûte à coulisse et à un ocarina pour réaliser des harmonies non-tempérées, les Nonsense Madrigals pour six voix d'hommes a cappella (1988- 93) dont certains sont basés sur des textes de Lewis Carroll et où sont cités, entre autres, La Marseillaise et l'hymne anglais, le Concerto pour violon (1 992) où l'on retrouve deux flûtes à coulisse et quatre ocarinas et dont le deuxième mouvement est un "hoquet" à la manière de ceux de Guillaume de Machaut, la redoutable Sonate pour alto ( 1 991-94)... "L'art n 'est pas une chose rigide" 8 La diversité et "l'harmonie" des couleurs sonores du Kammerkonzert 9 ainsi que l'équilibre entre tension et détente, statisme et mobilité, fusion et différenciation, au niveau de chaque mouvement comme à celui de l'œuvre entière, en font un *'classique" de la musique de la deuxième moitié du Xxe siècle. Le Kammerkonzert rassemble, en outre, fa plupart des procédés d'écriture que Ligeti a imaginés depuis Apparitions et Atmosphères. L'effectif instrumental se compose d'une flûte (également piccolo), d'un hautbois (également hautbois d'amour et cor anglais), d'une clarinette en si bémol, d'une clarinette basse (également deuxième clarinette), d'un cor, d'un trombone, d'un clavecin et d'un orgue Hammond ou d'un harmonium (joués par un seul exécutant et placés à gauche de la scène), d'un piano et d'un célesta (joués par un seul exécutant et placés à droite de la scène) et d'un quintette à cordes (deux violons, alto, violoncelle, contrebasse). Étant donné le caractère particulièrement "interminable" de ('analyse dans le cas des œuvres de Ligeti, nous serons attentifs avant tout aux principales articulations formelles de chaque mouvement et ne mettrons l'accent que sur certains procédés caractéristiques. + PREMIER MOUVEMENT Le premier mouvement repose sur une écriture continue, assez statique. Il prend naissance avec une texture micropolyphonique qui aboutit, après différentes transformations, à un son unique (mi bémol), joué du grave à l'aigu par sept instruments. Ce son correspond à peu près à la section d'or du mouvement (mesure 38 pour 62 mesures en tout, la dernière mesure n'étant occupée que partiellement : 61,5 sur 38 = 1,618) '0 . Ce mi bémol est le point de départ d'une nouvelle texture, d'abord très statique puis de plus en plus instable, c'est-àdire de plus en plus différenciée à tel point que cette texture débouche sur un "chaos organisé" (à partir de la mesure 54), caractérisé par l'éclatement polyphonique et rythmique. Ce chaos se fige rapidement, par ralentissement•et par élimination de certains sons, se fixe sur l'intervalle de septième majeure do - si (mesures 61 et 62) puis s'évanouit. L'écriture des deux textures est le plus souvent régie par le principe du canon à l'unisson, principe extrêmement fréquent dans les ceuvres de Ligeti Notons que Ligeti ne peut pas réellement débuter ni achever son morceau, étant donné le souci d'immanence qui caractérise sa démarche musicale. Si l'on veut prendre une image, Ligeti ne peut qu'allumer ou éteindre un projecteur de manière plus ou moins progressive, tout en disposant de nombreux types et de nombreux angles d'éclairage. Le matélui-même est virtuellement infini (il n'a donc ni début ni fin) : il serait l'équivalent de l'ensemble des possibilités sonores (en termes de timbres et de modes de jeu mais aussi en termes de "combinaisons" dans 4e temps) propres à ta formation instrumentale choisie. Au "début" du premier mouvement, Ligeti éclaire le matériau d'une manière relativement brusque, même si la nuance{est piano. Même chose pour le troisième mouvement, qui "'débute" par un sforzando, même si, ici aussi, la nuance globale est doublë-piano et que Yon n'entend qu'une seule note. À l'inverse, dans les deuxième et quatrième mouvements, l'éclairage est pius progressif. À l'autre "extrémité", le premier mOuvement "s'achè- 7 "Autoportrait avec Reich et Riley (et Chopin est aussi à l'arrière-plan)" 8 G. LIGETI, entretiens in P. MICHEL op. cit. p. 9 - Partition éditée chez Sch0R n 0 6323, Mayence. Création le premier octobre 1970 à Berlin. 10 - no Hans-Peter 30 ou 12-13, 12) dans Éditions Kyburz, les œuvres l'Âge dans d'Homme, son. de Ligeti article : Lausanne, le "Fondements premier septembre et le d'une deuxième 1990, interprétation mouvement montre par - du la ailleurs construction Kammerkonzert l'importance numérique comptent du nombre dans 143 le mesures 1 1 Deuxième (nombre en tout premier Quatuor (62 + traduisant 81de = Ligeti", 13 x une 1 1), pubiié certaine le troisième dans "inexactitude" la mouvement Revue Contrechampspar 66 rapport mesuresà {6 x 11), le dernier 55 mesure (5 x 11). 44 Certains canons sont partiels (ils ne concernent qu'une partie de la ligne mé(odique) et peuvent donc être à ïepérer sur la partition. Ils SGût bien sûr quasiment indécelabies à l'oreille qui ne perçoit qu'un "air de famille" plus ou moins prononcé entre les voix lorsqu'elle parvient à percevoir chaque voix ! ve" par un éclairage de plus en plus sélectif et de plus en plus faible. Même idée pour le deuxième mouvement dont l'éclairage diminue progressivement. À l'inverse, dans le troisième mouvement, l'éclairage est coupé brutalement. Le quatrième mouvement, quant à lui, connaît in extremis un changement d'éclairage surprenant, que nous commenterons au moment venu. En réalité, chacun des quatre mouvements "s'achève" par un silence noté sur [a partition, pendant lequel le chef d'orchestre conserve les bras levés et même, pour le troisième mouvement, bat la mesure. On peut bien sûr comparer ce silence à l'obscurité qui est, quoi qu'on en dise, une des modalités de la lumière, et non des moindres '2 . Examinons l'évolution des textures de part et d'autre du mi bémol "central". En ce qui concerne l'ambitus, la première texture est d'abord contenue dans l'intervalle de tierce majeure (sol bémol • si bémol) ; elle perd le sol bémol (mesure 10), gagne le si bécarre (mesure 14) puis le do (mesure 16), puis le ré avant le ré bémol (mesure 26) puis le ré bémol (mesure 27) ; elle perd ensuite, successivement (mesures 30, 32, 33 et 34), les six notes de sol à do inclus pour se réduire à do dièse - ré, juste avant te mi bémol. Les transformations s'effectuent, par conséquent, selon un processus de suppression de notes, compensée ou non par des ajouts, ce qui peut évoquer certains rapidement à ia septième majeure do si (qui fait figure "d'ombre" de l'ambitus maximum). La seconde texture se révèie donc nettement plus distendue que la première, au point de se rompre. En ce qui concerne l'harmonie, l'écriture micropoiyphonique a tendance à faire fusionner les sons entre eux. L'harmonie apparaît donc rarement dans son acception traditionnelle de superposition de sons mais plutôt comme l'un des aspects du timbre. Les transformations de chacune des deux textures donnent lieu à des couleurs plus ou moins chromatiques, parfois diatoniques (comme à la mesure 25) et, exceptionnellement, quasi tonales (comme à la mesure 41 où émerge un accord de la bémol majeur qui "absorbe" les dissonances de l'orgue). L'analyse du rythme harmonique nécessiterait une étude approfondie pour déterminer avec précision l'alternance des moments de tension et de détente relative. En tout état de cause, on peut relever six phases principales, réalisant un certain équilibre : hyperchromatique au point de tendre vers le *'bruit" (à cause de l'écriture micropolyphonique très serrée) tout d'abord, plus diatonique à partir de la mesure 1 8, de plus en pius chromatique à par. tir de la mesure 26, homophonique à la mesure 38, de plus en plus chromatique jusqu'à la mesure 46 puis très fortement chromatique jusqu'à la fin. phénomènes biologiques de croissance 13 La seconde texture s'origine du mi bémol réparti sur six octaves (mesure 38) puis se remplit" partieilement avec l'intervention de l'orgue (mesure 39), du trombone (mesure 40), du cor (mesure 41) puis de nouveau de la flûte, de la clarinette et de ia clarinette basse (mesure 46). Après ce passage très statique, elle se scinde en trois "brins" (ou "trames") ayant chacun leur ambitus (mesures 47 et 48) puis ne conserve plus que le brin le plus grave (mesure 51). Ce brin va se tramer avec un nouveau brin très grave (mesure 54) puis les deux brins vont "s'effilocher" en tout sens (mesure 56 et surtout 57) : l'ambitus atteint alors son maximum puis se réduit assez 45 En ce qui concerne la couleur (c'està-dire non seulement l'harmonie mais aussi les timbres instrumentaux, les modes de jeu et les intensités), elle est certainement l'élément essentiel à l'origine de fa beauté mystérieuse (et parfois dérangeante) des œuvres de LigetiLe compositeur accorde, de ce point de vue, un soin extrême à chaque "fil" de ses textures qu'il noue, torsade, tresse voire emmêle à d'autres fils, avec une capacité de renouvellement extraordinaire. l' est impossible de décrire ici l'immense variété d'une palette reconnaissable entre toutes, de surcroît en perpétuel mouvement. Trois exemples caractéristiques : a) Nous avons indiqué pius haut de quelle manière Ligeti parvient, au début de l'oeuvre, à mélanger les timbres de la contrebasse, du violoncelle, de la clarinette basse, de la clarinette en si bémol et de la flûte de manière quasi homogène. Cette première couleur (en mouvement, faut-il y insister) est prolongée, dans une variante plus "intense" et surtout plus homogène, par le quatuor à cordes avec sourdines à partir de la mesure 9. Auparavant, entre les mesures 5 et 7, les deux violons et l'alto ont essayé de se tresser avec chacun des cinq "fils" de la couleur initiale, mais sans y parvenir. La couleur propre aux cordes s'éparpille en effet en taches minuscules (mesure 7) résultant du rebond de l'archet sur les cordes puis du jeu sur le chevalet. Ces petites taches sont elles-mêmes rehaussées par l'intervention fugitive du célesta (fin de la mesure 7) 14. b) La couleur du quatuor à cordes avec sourdines, entre les mesures 30 et 37, fluctue légèrement_ en fonction du mode de jeu (avec la pointe de l'archet, sur le chevalet, jeu normal, sur la touche). II ne s'agirait plus de "dégradés" ni de "touches", à l'instar du premier exemple, mais de variations de la luminosité produisant un "scintillement" plus ou moins important. c) La période de "chaos organisé" (ou "d'effilochage") donne lieu à ce qu'on pourrait comparer à un processus de dissipation. Les couleurs mises au contact {es unes des autres se désagrègent sans parvenir à former immédiatement un mélange homogène, comme lorsque l'on verse une goutte de lait dans une tasse de thé. En ce qui concerne la vitesse de renouvellement de la couleur, c'est-à-dire ta mobilité interne des textures, l'unité conventionnelle de durée est la noire (sauf entre les mesures 41 et 46 où il s'agit de la croche). Cette unité se subdivise en toutes les valeurs de 2 à 10, ces valeurs pouvant être remplacées par des silences. En outre, on rencontre des valeurs à jouer sans tempo, le plus vite possible, et pouvant être superposées aux valeurs strictement notées. Ligeti dispose ainsi d'une échelle de mobilité extrêmement souple dont il est impossible, à l'instar du travail sur les couleurs, de rendre compte de manière exhaustive- D'une façon générale, le rythme, associé à la couleur et en particulier à l'intensité, permet soit de jouer sur le degré de différenciation des voix (des "fiis") de la texture, soit (ce soit n'étant pas exclusif du précédent) de jouer sur la perception des vitesses (vitesse globale, vitesse de chaque voix mais aussi vitesses "illusoires" résultant de l'association spontanée, par l'oreille, de certaines voix entre elles). Un exemple très simple illlustrant [a 12 - De la même façon, il arrive que certains morceaux "commencent" par un silence noté, par exemple le Deuxième Quatuor à cordes. 13 - Le compositeur se réfère à des "structures quasi pour qualifier les procédés d'écriture utilisés dans le Kammerkonzert : voir P. MICHEL op. cit. p. 225 et "Entretien : Gyòrgy Ligeti avec Clytus Gottwald" Revue lnHarmoniques no 2 mai 1 987 p. 221. 14 - Nous laissons de côté l'intervention du cor, du trombone et du hautbois dont nous parlerons plus loin. Notons que Ligeti maintient discrètement, dans ce passage comme dans beaucoup d'autres, y compris dans les autres mouvements, le principe "traditionnel" de dialogue des familles instrumentale (bois, cordes, cuivres). 46 BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE Entretiens avec Ligeti (classés par ordre chronologique) : ns permettent d'enfrevoir la diversité de ses centres d'intérêt, l'originalité de ses préoccupations musicales ainsi que l'indépendance mais aussi la générosité de sa personnalité : • "D'Atmosphères à Lontano, un enffetien entre Gyôrgy Ligeti et Josef Hâusler" Revue Musique en jeu n o 15 Seuil septembre 1974 p.110-119. • "Entretiens avec Gyôrgy Ligeti (28, 29 et 30 décembre 1981)" in P. MICHEL Gyôrgy Ligeti Minerve deuxième édition revue et complétée 1995 p. 149-202. • Monika LICHTENFELD "Conversation avec Gyôrgy Ligeti" Revue Contrechamps no 3 Éditions L' Âge d'Homme Lausanne septembre 1984 p. 44-49 (Librairie L'Âge d'Homme, 5 rue Férou 75006 Paris). • Edna POLITI "Entretien avec Gyôrgy Ligeti" Revue Contrechamps no 4 Éditions L' Âge d'Homme Lausanne septembre1985 p. 123-127. • "Enretien : Gyôrgy Ligeti avec Clytus Gottwald" Revue InHarrnoniques no 2 mai 1987 p.217-229. Philippe ALBERA "Entretien avec Gyôrgy Ligeti" Musiques en création Co-édition Festival d' Automne à Paris - Revue Contrechamps 1989 p.87-95. Ouvrages ou articles sur Ligeti (par ordre d'importance) • Pierre MICHEL Gyôrgy Ligeti, op. cit. (l'ouvrage de référence en langue française, axé principalement sur {e langage musical ; comprend de nombreuses analyses). Éric ANDREASSON "Le style musical de Ligeti" Fiche Musique et Culture série 37 n o 2-3 février-mars 1992 BP 1 67015 Strasbourg (courte mais intéressante synthèse sur l'ensemble de l'œuvre de Ligeti et ses enjeux musicaux). Jean-Yves BOSSEUR "Gydrgy Ligeti" in Musique de notre temps Recueil I p. 135-139 Casterrnan 1973 (présenmtion fine et sensible de i' œuvre jusqu'au Kammerkonzert inclus ; en bibliothèque uniquement). Antoine BONNET "Sur Ligeti" Revue Entretemps no I avril 1986 p. 5-15 (présente et discute les techniques d'écriture de Ligeti jusqu'au Trio pour cor exclu, le rôle de la notation et la conception du temps musical). "Dossier Ligeti Kurtag", Revue Contrechamps no 12-13 Éditions ['Âge d'Homme Lausanne septembre 1990 (contient notamment un court texte de Ligeti indtulé "Ma position comme compositeur aujourd'hui (1985)", des études sur Le Grand Macabre, le Premier Livre des Études pour piano, les Deux études pour orgue, Continuum, le Deuxièrne Quatuor et une importante bibliographie en langue française, anglaise et surtout allemande). • Dossier Ligeti, Revue Musique en Jeu 15 op. cit. (outre l'entretien cité, comprend une étude sur Aventures et NouvelZa• AventurŒ, une étude sur ArtikuZation ainsi qu'une présentation succincte du Kammerkonzert). de G. LIGETI lui-même 'Mes Études pour piano (Premier Livre) Polyrythmie et création" • Revue Analyse Musicale n o 10 1988. Diverses analyses d'œuvres de Ligeti sont parues dans les Fascicules du Baccalauréat n o 382 et no 392 de ia Revue L'Éducation Musicale (sur Lux Aeterna), dans la Revue L'Analyse Musicale (sur le Concerto pour 47 violoncelle na 6 1987, sur 15 1989 et sur Lux Aeterna no 25 1991), et dans la Revue Musurgia (sur le Deuxième Quatuor vol. no 4 1996). première possibilité (la deuxième possibilité étant à l'œuvre surtout dans le troisième mouvement) • l'apparition, à la mesure 25, d'une longue tenue Articles ou documents sur le Kammerkonzert (sol - la si bémol - do joués par la contrebasse, le o cor, la flûte et la clarinette) renforçant la couleur O. BERNAGER "Autour du Concerto de chambre de Ligeti" Revue Musique en Jeu n 15 op. cit. (présensation succincte de chacun des mouvements). de la texture jouée pendant ce temps, sur les même notes, par le quatuor à cordes. Cette P. BOULEZ "P. Boulez présente et difige : G. Ligeti. Concerto de chambre' cassette IRCAM. • Radio-France série Le Temps Musical no 2 (analyse. exemples à l'appui, les différents types de texture superposition de valeurs rythmiques très fentes dans les ù-•ois premiers mouvements). et très rapides tend à engendrer (mais cela n'est J. CASTEREDE "Gyôrgy Ligeti (1923 Kammerkonzert (1970)" in Musique, langage vivant Tome 3 sous pas certain, c'est justement ce qui intéresse Ligeti) la perception de deux plans distincts, c'est-à-dire la direction de S. BÉRARD Zurfluh 1998 p.263-277 (analyse détaillée du premier mouvement). d'un fond constitué par la tenue et de figures • P. MICHEL "Concerto de chambT? pour treize instrumentistes (1969-1970) premier mouvement" constituées par le quatuor à cordes. Il existe cinquième paragraphe du chapitre "Notes analyüques" du livre Gyôrgy Ligeti, op. cit. p-224-235 (décrit d'autres exemples plus nets de différenciation procédés d' écriture propres au premier mouvement). rythmique de la texture : mesures 1 8 et 19, 31 à R. PENCIKOWSKI "Les points sur les i - le Concerto de chambre de Ligeti" Revue InHarmoniques no 33 et, évidemment, 54 à 62. Dans cette phase de 2 mai 1987 éd. Bourgois (concerne uniquement les logiques d'organisation des hauteurs dans le premier mouvement). "chaos", Ligeti agence rigoureusement non seulement [es rythmes mais aussi les attaques, les registres et les dynamiques ; en outre, il agrandit' méthodiquement les intervalles tandis que l'intervalle final de septième majeure est, à son tour, progressivement "troué" à partir de la mesure 59. Ces exemples nous amènent au dernier point important de l'analyse de ce mouvement. • La différenciation rythmique peut aller, dans ce premier mouvement, jusqu'à l'apparition de motifs qui se détachent des textures. Cet aspect de l'écriture de Ligeti, inauguré dans le Deuxième Quatuor, permet de complexifier le jeu sur la différenciation des voix en les répartissant sur deux pians au moins (texture et mélodie) dont le degré de différenciation peut lui-même varier 15 . On rencontre, dans le premier mouvement, trois motifs de ce genre qui se distinguent de plus en plus nettement de la texture. Entre les mesures 5 et 7 tout d'abord : le cor, puis le trombone, puis le hautbois doublé par la ciarinette basse, puis de nouveau le cor doublé par la flûte, puis de nouveau le trombone, se partagent, par tuilage, un motif encore fortement enchevêtré dans la texture (d'autant que ses neufs sons constituent la rétrogradation de la partie de flûte à partir du si bémol de la mesure 4). Mesures 14 à 1 7-18 ensuite : les sons du cor (dont le dernier en bouchant le pavillon) se détachent franchement de fa texture jouée par le quatuor à cordes, même si les notes sont communes également. Mesures 49 et 50 enfin : les six 15 - Ligeti lui-même évoque tes dessins dŒscher (qu'il découvre juste après la composition du Kammerkon2ert, en 1 97 t). Dans ces dessins aujourd'hui très diffusés, le premier plan et f'arrière-pian ou le haut et le bas se confondent souvent par un jeu d'illusions optiques. 48 instrumentistes à vent jouent un motif de six notes (le plus saillant des trois), réparties sur cinq octaves16 + DEUXIÈME MOUVEMENT (l comprend cinq phases relativement distinctes même si elles sont enchaînées. Nous allons les anaiyser successivement, en mêlant les "catégories" analytiques que nous avons distinguées jusqu'à présent. Le morceau prend naissance avec une micropolyphonie de clusters évoluant lentement, dans un ambitus maximum de deux octaves. La densité de ces clusters varie de huit à onze sons, répartis grosso modo en arche entre les mesures 1 et 13 (la mesure 10 ne comporte exceptionneilement que sept sons différents). La saturation chromatique ainsi que la disposition des sons, les modes de jeu (cordes en sons harmoniques, cor avec sourdine) et I'intensité double-piano produisent une couleur étrange, "transparente" pour reprendre t'indi cation confié à des instruments dont le timbre est luimême réputé évoquer l'idee de distance ou d'éloignement. b) Le second pian entrecroise cinq lignes dans un ambitus comparable (sol grave la bémol), allant en se resserrant graduellement également. Chacune des lignes utilise toutes les notes de ambitus (cette phase est donc fortement chromatique, à l'instar d'ailleurs de l'ensembie du mouvement). La clarinette, ia clarinette basse et l'orgue sont en canon mélodique à l'unisson (l'orgue à partir de la douzième note de la clarineüe, c'est-à-dire le sol dièse de la mesure 15) 17 . La partie de piano, quant à elle, "amplifie" la partie de flûte selon un procédé analogue aux tropes médiévaux : chaque note de la partie de flûte se retrouve dans celle de piano mais entourée de nombreuses "interpolations" qui compensent la différence de tempo entre les deux instruments (voir exemple 2 en p. 50). Le résultat global est d'autant plus complexe que Pourtant, I t impression d'hétérophonie: g s'insinue ou plutôt, comme toujours chez Ligeti, l'impression d'une situation musicale intermédiaire entre homorythmie et hétérophonie. La raison en est que les instruments sont divisés en trois groupes plus ou moins distincts (ce qui permet, en outre, de jouer de nouveau sur ta perception des plans) : a) La contrebasse, le violoncelle, le trombone, le cor et la clarinette basse jouent, dans le grave et dans une dynamique relativement faible, des valeurs longues (mais synchrones, répétons-le, avec celles des autres instruments). Ils progressent, de plus, par demi-tons avec crescendo et double-piano subito, à l'instar des motifs de la première phase. b) Les violons I et la clarinette, le hautbois et la flûte jouent, dans l'aigu, fortissimo "con fuoco", des valeurs brèves entrecoupées de valeurs plus longues, à la manière d'une violente harangue. Les parties 16 - On peut discuter du statut "textural différencié" (pour lequel j'ai opté plus haut) ou "motivique" des parties de vents, mesures 31 à 33. Cette question est, à vrai dire, insoluble : elle ne fait que traduire les paradoxes auditifs concernant la perception des iignes et des plans, auxquels Ligeti est très attaché. 17 - (t existe également quelques rapports partiels de canon entre les deux plans, qui ne font évidemment qu'accroître l'incertitude de leur discrimination. 18 - On retrouve ce triton tenu dans dautres œuvres, par exemple Lontano ou Ramifications. 19 L'hétérophonie désigne l'execution simultanée d'une même mélodie par plusieurs voix ou instruments introduisant chacun des variantes plus ou moins importantes. de registration de l'orgue à la mesure 5. Cette couieur s'estompe encore davantage lorsque l'orgue se retrouve seui à la mesure 10. Cette première phase laisse cependant affleurer des motifs "plaintifs" de deux notes, à distance de demi-ton ascendant ou descendant, avec un crescendo sur la première note -et un doublepiano subito sur la deuxième. Ces motifs se détachent à peine du fond constitué par les clusters, si bien que l'on a affaire de nouveau à une dimension intermédiaire entre fond seul (un seul pian) et figure esur fond (deux plans). La deuxième phase est amorcée par ('accélération rythmique de la partie d'orgue, à partir de la mesure 11. Elie débute lorsque ia partie d'orgue s'immobilise, à l'extrême fin de la mesure 12. Une texture complexe à deux plans plus ou moins distincts se met en place : a) Le premier pian fait entendre une mélodie atonale en valeurs. longues, dans un ambitus de septième mineure (sol dièse grave - fa dièse) allant en se resserrant progressivement. Cette mélodie, en trois sections séparées par des silences, est jouée par le trombone, le cor et le hautbois qui se répondent, se tuilent voire se superposent par endroit dans la deuxième et la troisième section. Le deuxième mouvement du Kammerkonzert évoque ainsi, lointainement, les mouvements lents des concertos baroques, classiques ou romantiques, le "chant" étant non seulement les rythmes sont très souples (les valeurs varient de deux à sept par temps) mais que les huit instruments se voient attribuer chacun un tempo spécifique, variant de 54 à 100. Le resserrement de l'ambitus, au cours de la deuxième phase, mène à la superposition diatonique do - ré - mi (mesure 32) puis chromatique ré - mi bémol - mi bécarre (mesure 34). La troisième phase s'ouvre à la mesure 35 avec une tenue sur un triton (fa - SI) réparti sur plusieurs octaves aux cordes et aux bois (sauf le hautbois) 18. La sonorité "transparente" de ce triton évoque la première phase et fait également écho à la tenue du premier mouvement. Le triton s'enrichit d'un si bémol grave à la mesure 36 et, surtout, laisse peu à peu émerger un motif de deux notes à un demi-ton d'intervalle, à la flûte et au cor, autre rappel de la première phase. La quatrième phase s'enclenche brusquement, à la fin de la mesure 39. ElIe contraste fortement avec les précédentes au moyen d'un type d'écriture inédit qu'on pourrait qualifier "d'homorythmique • hétérophonique" Jusqu'à la mesure 72, tous les rythmes sont, en effet, synchrones : la seule exception se trouve à ia fin de la mesure 40 où le violoncelte, le trombone et la clarinette basse jouent la dernière croche de la mesure alors que les autres instruments finissent un quintoiet de doubies-croches- sont en rapport de canon mélodique les unes avec les autres. c) Le piano et l'alto isolent certains sons ou bien ensemble de sons joués par le groupe précédent (dans le deuxième cas, ifs sont momentanément en canon avec eux). Les canons mélodiques et surtout les accents irréguliers qui résultent de l'intervention des instruments du premier et du troisième groupe ont pour effet de brouiller la perception homorythmique et de générer une quasihétérophonie. Tout comme à la fin du premier mouvement, cette "homorythmie - hétérophonie' s'enraye peu à peu puis se fige : l'ambitus des deux groupes aigus se décale progressivement vers [e grave, tout en s'élargissant ; les valeurs deviennent plus régulières à partir de la mesure 50 ; l'alto puis le violoncelle rejoignent les deux violons entre les mesures 50 A partir de fa mesure 60, le tempo s'élargit, l'instrumentation s'allège, l'intensité diminue, les rythmes ne dépassent plus quatre valeurs à la noire alors qu'ils ailaient jusqu'à six. À la mesure 69, il ne reste plus que les cordes qui connaissent un ultime frémissement sur une tenue de la contrebasse, du trombone, de la clarinette basse et de la clarinette. Après cette dépense d'énergie, la torpeur deux autres. Le caractère agité et fantasque, sinon fantastique, du morceau l'apparente à une sorte de scherzo. 49 Ce sont des tremblements autour d'une seule note (m) qui mettent en branle la mécanique s'ajoutent neuf, seule exception, puis sept, puis s'installe à nouveau dans la remplacées cinquième phase silences). pièce s'éteint avec des- clusters de mi à do "transparents" de dièse fa dièse (mesure 5) puis à do aux bécarre - fa dièse avec troisième phases. Le ré (mesure 8 dernier cluster, joué par basse, la clac) Les trois rinette et la flûte, se ramifie en cordes) constituent Cinq motifs de des groupes de voix, ou chromatiquement, soit distincts qui se en descendant, soit superposent dans cet ordre jusqu'à sol, la mesure 5 puis souvenir de la première le mesu'hase. re 6 pour ne motifs à base de demi-tons à progressiveturont donc irrigué constituée par la contrebasse, {u la clarinette I, la clarinette II et la flûte puis la tenue seule (do- ré- mi TROISIÈME MOUVEMENT trois éléments évoluent d'une matériau sous un symétrique, d'autre 'gle à six, puis cinq valeurs par temps jusqu'à la mesure 6 ; à la mesure 7, restent des rythmes composés de cinq à sept valeurs puis, de la mesure 8 à 1 1, de trois à cinq (toutes ces valeurs pouvant être (mesure 73). La par des b) L'ambitus s'élargit sept à neuf sons, non mesurés, faisant écho absence du première et dièse et du fa bécarre -i'alto, l'orgue, la clarinette familles instrumentales (vents, claviers, deux à quatre notes "quasiprogressant plans", relativement en montant, et se rejoignant sur la note disparaissent dans ultime même ordre à partir de la laisser que le quatuor .es cordes sur une tenue l'ensemble ment mouvement, mise à part {a teuxième phase. - fa dièse). Remarquons que ces part chacun de présente le manière non nouveau totalement diffé- "calcule" à chaque fois de manière explique Ligeti luiPaul Klee Chemin principal et chemins latéraux ème 1. De fait, si le premier et le très précise. (1929, Cologne, collection privée) reproduit in Marcel MARNAT Paul Klee. :cond mouvement relèvent la Si la première phase voit la mécaÉd. Hazan 1985, @ Hazan/A.D.AG.P Paris. lépart du temps d'une écriture de nique commencer par se gripper, la Ligeti déclare souvent trouver dans la peinture de Paul Klee un travail 'pe "nuage"' (clouds), le troisièseconde phase connaît un "embalsur la perception des lignes, des plans et des couleurs comparable au sien. le mouvement relève d'une écrilement" de plus en plus délirant. ure de type "horloges" (clocks). Elle débute à la manière de la prein d'autres termes, le troisième mière phase par une note unique, part ensemble de manière non nt. "La troisième partie est quasi simultanée. Ligeti tient beaucoup, Scanique, comme si un étrange dans toutes ses œuvres mais tout oareil de précision à moitié spécialement ici, à cette inexactituTaqué se mettait en mouvede et à cette multiplicité, qu'il 2nt" , nouvement choisit le grain contre l'ailure de savamment déréglée du mouvement. Les la bémol (mesure 12), répartie sur un ambitus la matière sonore n . Ce choix d'une matière attaques sforzando, le pius souvent décalées de quatre octaves. Tous les instrumentistes, plus ou moins '*hérissée", c'est-à-dire dont les mais aussi parfois synchrones, tendent à faire sauf le contrebassiste, sont mobilisés pour "piquants" sont plus ou moins denses, plus ou ressortir chaque voix. La différenciation poly- répéter cette note le plus vite possible, la mui-moins réguliers ou plus ou moins "pointus", phonique demeure cependant relative ou plu- tiplicité rythmique provenant à la fois des entraîne inévitablement une certaine différen- tôt, une nouvelle fois, incertaine. Cette incer- capacités de chaque instrumentiste et des spéciation de la polyphonie. La progression s'ef- titude entre polyphonie et texture résulte du cificités organologiques et acoustiques de fectue ici selon trois phases, la première traitement particuiier de la mobilité ryth- chaque instrument. Chaque ligne se met alors constituant un "faux départ', la seconde com- mique, de l'ambitus et de la couleur : à converger très lentement, suivant sa lenteur portant trois moments différents, la dernière a) Les rythmes se superposent et augmentent propre, en descendant ou en montant (selon "tranchant" de manière humoristique avec les peu à peu : huit valeurs par temps auxquelles sa situation dans l'ambitus) demi-ton par - LIGETI "Concerto de Chambré', in Passages du XX' siècle, première pattier janvier-juillet 1977, traduction E Regnault Ed. IRCAM et Métiers graphiques 1977 p. 101, cité par P. MICHEL op. cit. p. 86. 21 Ligeti parle d'un "continuum granuleux" en note de la mesure 12. 1 50 51 demi-ton (les cordes et le trombone glissant progressivement, de surcroît, entre chaque demi-ton), en direction du centre de l'ambitus, qui n'est autre que le mi du début du mouvement. Mais ce processus s'avère, lui aussi, inexact : beaucoup d'instruments n'atteignent pas ce centre ; d'autres (la main droite du clavecin et le violon ID le dépassent ; la cfarinette Il, quant à elle, diverge. Le second moment de la deuxième phase s'amorce lorsque les pizzicati fortissimo de la contrebasse, à partir de la mesure 32, puis ceux des autres instruments à cordes viennent se greffer sur le processus de convergence en train de se dérouler (processus qui s'estompera peu à peu, par extinctions successives des lignes jusqu'à la mesure 40). Les rythmes de ces pizzicati (sur fe chevalet, donc très "agressifs") sont spécifiques à chaque instrument . triolets de croches à la contrebasse, croches décaiées d'un quart de temps au violoncelle, triolets de noires décalés d'un sixième de temps à l'alto, quintolets de croches au violon Il, septolets de croches au violon l, cela pour les mesures 32 à 34. La complexité rythmique s'accroît encore davantage lorsque les tempi deviennent à leur tour spécifiques, à partir de la mesure 35 (à l'exception du tempo du vioIoncelle et du violon l, mais ces instruments jouent de toute façon des rythmes différents), puis lorsque le piano et le clavecin font feur entrée sur des clusters, mesure 38. Cette complexité ne débouche pas pour autant sur une texture, à cause, d'une part des modes de jeu (pizzicati "Bart6k" et, pour les claviers, staccatissimo molto secco), d'autre part de la disposition écartée des sons (du do dièse grave au contre-ré pour la disposition la plus écartée). Plus que d'une polyrythmie, qui suppose une pulsation commune, il s'agit ici d'une polymétrie, c'est-à-dire d'un jeu sur la perception des vitesses. Le temps s'écoule à une vitesse différente pour chaque "horloge" dont le fonctionnement, qui plus est, peut luimême varier. Dans cet univers à la fois relatiViste et imprévisible, c'est-à-dire fondamentalement loufoque, il est évidemment impossibie de préciser l'heure ! Le troisième et dernier moment intervient mesure 41, à l'occasion d'un "filtrage" brutal du matériau : le piano et le clavecin, restés seuls mesure 40, laissent place aux triple-pizzicati doubie-piano du quatuor à cordes, cette fois arpégés de bas en haut et de haut en bas, le plus vite possible. Ces tripie-pizzicati forment un "tapis" rappelant le processus de quent, portées générale, l'écriture mélodique des textures est libre ou, mieux, inexacte, à l'instar de l'inexactitude de l'écriture rythmique du troisième mouvement : il faut probablement y voir la conséquence de la vitesse qui "courbe" l'espace et déforme la perspective. Parvenus sur les deux notes mi et la graves en quasitrémoto (en fait, huit valeurs par temps), les 52 DISCOGRAPHIE II est intéressant de pouvoir comparer différentes versions du Kammerkonzert. En effet, même si la notation est extrêmement précise, le jeu sur les couleurs sonores et celui sur les rapports entre les voix sont très complexes à mettre en œuvre. Cinq versions sont actuellement disponibles en France : Ensemble InterContemporain, direcüon P. Boulez (1982) DG 439452-2GCLEnsemble InterContemporain, direction P. Boulez (1988) AUVIDIS MO 780518. Reihe Ensemble, direction F. Cerha (1973) WERGO 6901-2. Reihe Ensemble, direction E Cerha WERGO 60162 - 50. • Ensemble Modern, direction P. Eôtvos (1990) SONY SK 58945. à leur comble. À ia mesure 53, le sentiment polymétrique est d'ailleurs sur le point de s'effacer au profit de perception d'une texture. Passé ce sommet délirant, les instruments s'arrêtent un à un, à partir de la mesure 54, pour ne laisser que le quatuor à cordes à la mesure 59. La dernière phase, à partir de la mesure 60, fait entendre inopinément l'équivalent d'une sonnerie de réveille-matin (matérialisée par les trilles des clarinettes I et Il et du piccolo). Ces horloges détraquées n'étaient qu'un mauvais rêve, une hallucination auditive probablement née du tic-tac régulier et beaucoup moins inquiétant d'une horloge "ordinaire". Le dormeur, mal réveillé, perçoit encore dix battements de ces horloges démoniaques, logés à l'intérieur de la sonnerie, c'est-à-dire sur les mêmes notes que ceile du trille (si - do dièse ré - mi bémol aigus). Le chef d'orchestre, luimême subjugué, reste encore quelques secondes la proie du cauchemar et continue à battre une mesure tout seul, avant le point d'arrêt "final". + QUATRIÈME MOUVEMENT Il constitue la synthèse des trois autres par les types d'écriture utilisés (centrés sur l'ailure aussi bien que sur le grain) et par certaines réminiscences textuelles. Il rappelle en outre le rondo "classique" par son tempo globalement rapide et par la présence d'un "refrain" qui débute chacune de ses trois phases. La première phase s'ouvre avec une texture particulièrement "emberlificotée" issue des deux lignes des clarinettes en si bémol (c'est cette forme de la texture qui fait office de refrain). L'ambitus se déplace progressivement d'un ton (de ré - sol à mi - la graves) tout en étant progressivement "troué" (le sol à la mesure 3 puis le fa dièse et le fa bécarre à la mesure 4 puis le sol dièse à la mesure 5), ce qui rappelle les processus biologiques de croissance du premier mouvement. Mais l'analogie avec le début du premier mouvement s'arrête là : l'écriture mélodique des deux lignes n'obéit pas au principe du canon mélodique même si, dans la première mesure par exemple, avant que le sol dièse ne soit introduit, 'es trente intervalles possibles à l'intérieur de l'ambitus de quarte sont utilisés (à une exception près, l'intervalle ré - sol justement, certains intervalles étant, en outre, utilisés deux fois ou par l'une des deux lignes seulement). Dans ce mouvement, d'une manière convergence parcourant les deux moments précédents, d'autant que leur note centrale (et exceptionnellement la note grave du violoncelle à partir de la mesure 48) glisse lentement également, soit en montant, soit en descendant (ce nouveau processus s'éteint mesure 50). Sur ce tapis, prend place un second jeu polymétrique, d'abord "complémentaire" du premier au niveau de la couleur (ce sont, en effet, les vents qui dominent, le piano et le clavecin représentant les seules "touches" communes). Mais à partir de la mesure 50, le quatuor à cordes entre progressivement et dès la mesure 53, les treize instrumentistes jouent tous ensemble sur le total chromatique, réparti sur presque cinq octaves. Ce second jeu polymétrique, outre le caractère grotesque des sons graves et stridents des sons aigus, se révèle encore plus détraqué que le premier : si tous les rythmes sont spécifiques, à l'instar du premier jeu et s'il y a peu de tempi différents, ces tempi sont "élastiques" (ils ralentissent progressivement, de plus de manière nonsynchrone) et surtout, ce second jeu compte jusqu'à treize horloges différentes alors que le quatuor à cordes, lui-même "coloré" par le premier jeu n'en comportait que sept maximum. célesta, à la mesure 7. Les illusions concernant la vitesse giobale et les Cette mesure voit l'ambitus diverger vitesses relatives sont, par conséclarinettes passent le relais au quatuor à cordes brusquement vers l'extrême grave et le à fa mesure 6 cependant que la contrebasse suraigu, selon des canons mélodiques inexacts tient [e mi grave ; puis les clarinettes entre la clarinette l, la clarinette Il, les deux interviennent à nouveau en se superposant au mains du célesta et les deux violons d'une part, entre l'alto et le violoncelle d'autre part (voir exemple 3 en p. 51). La texture se reconstitue alors sous une forme très différente, avec des sons piqués (qui rappellent bien sûr [e troisième mouvement) et dans un registre aigu (fa dièse aigu contre-fa). Les piqûres très rapides, confiées au clavecin, aux deux clarinettes, au hautbois et à la flûte piccolo, aux quelles s'adjoignent les violons I et Il (fin de la mesure 8), le piano (mesure 9) et le célesta (mesure 11) sont jouées sur des rythmes complexes, quasi tremblés (de deux à neuf valeurs pat temps et même le plus vite possible). est à nouveau apparentée aux autres de manière inexacte. Les couleurs rapidement, non plus en fonction des groupes..inStrumentaux comme dans les autres mouvements, mais en fonction d'une instrumentation *divisionniste" isolant chaque instrument (ou paire d'instruments pour les clarinettes et les violons). L'ambitus, quant à lui, converge peu à peu vers l'aigu tandis que l'instrumentation s'allège graduellement si bien qu'il ne reste plus, à la fin de la mesure 14, que le piano et le clavecin qui trillent sur le contre-mi et le contre-fa, réminiscence du trille précédant le "centre d'or" du premier mouvement. La seconde phase débute à la mesure 15 avec une forme-limite de la texture, c'est-à-dire une seule ligne, jouée simultanément par la darinette basse et la flûte piccolo à quatre d'intervalle, et centrée sur le fa dièse, aboutissement du trille précédent. Cette "variante" de la forme initiale de la texture, à valeur de refrain, est bien une texture obéissant, entre autres, aux principes d'utilisation plus ou systématique des intervalles disponibles et de neutralisation du rythme (ici grâce à la régularité rythmique alliée à la rapidité du tempo). L'ambitus s'élargit assez rapidement jusqu'à atteindre, à la mesure 18, ré - si bémol (toujours à quatre octaves d'intervalle), soit une tierce majeure de part et d'autre du fa dièse initiai. À partir de cette mesure, les autres instruments interviennent ponctuellement, soit à l'unisson ou à l'octave, soit à d'autres intervalles. Mais il s'agit toujours du même et unique fil, plus ou moins épaissi ou "coloré" suivant les cas. A la mesure 22, le cor s'insère imperceptiblement dans la texture, ce qui va provoquer la dislocation de celle-ci dans te courant de la mesure 25. Le cor joue une véritable mélodie, rappelant les bribes mélodiques du premier mouvement et la mélodie atonale du second. Cette mélodie, "colorée" par les cordes (mesure 24) et prolongée par les bois (mesure 25), présente des sons tous différents. Le douzième son, le sol bécarre au piccolo, est alors le point de départ d'un "commentaire" du piccolo qui fait entendre trois fois (la troisième fois incomplètement) une "série" de onze sons renforcés par moment par les attaques, à l'unisson ou à l'octave, des autres instruments. Mais les clusters triple-forte du piano, apparus dès la mesure 24, parviennent à "absorber" le commentaire du piccolo, même s'ils se font de moins en moins denses : Ligeti indique en effet, à la mesure 29, qu'il faut jouer ces clusters encore plus vite et "frapper comme un malade". La fin de la mesure 29 et 'a mesure 30 constituent, à ce titre, le second palier du morceau, suraigu et dominé par le bruit des marteaux . La troisième phase s'ouvre à la mesure 31 22 avec un autre "retour varié" de la texturerefrain. La texture est d'abord jouée, "férocement" comme l'indique Ligeti, par la contrebasse seule (il s'agit donc à nouveau d'une texture - figne) ; viennent s'y ajouter ensuite des lignes différentes jouées par la main gauche du piano jusqu'à la mesure 36, puis par le violoncelle suivi de la clarinette basse à partir de la mesure 36 (l'entrée de la ciarinette basse étant renforcée par deux impacts du trombone à l'unisson). L'ambitus se fait progressivement moins grave tout en se "trouant" et finit, au cours de la mesure 40, par se fixer sur un triton (do dièse - sol graves) en quasitrémolo, selon un processus assez comparable à celui du refrain initial entre les mesures 1 et 5. Ce triton, à la fin de la mesure 40 et de la mesure 41, constitue un palier secondaire séparant la troisième phase en deux moments plus ou moins distincts. Le quatuor à cordes, double-piano, prend le relais à la mesure 42, sur de grands intervalles et dans un ambitus de plus en plus étendu. Les vents ainsi que l'orgue interviennent ensuite pour faire entendre des motifs de deux notes (trois pour l'orgue mesure 50) à un demi-ton d'intervalle (un ton pour le trombone et le cor, mesure 49), en crescendo avec piano subito sur la deuxième note, réminiscences du deuxième mouvement. Enfin, les vents et les cordes se retrouvent entre les mesures 49 et 51, soit sur des tenues (contrebasse, orgue, trombone, cor) soit sur des lignes très rapides, aux larges intervalles, qui finissent par s'interrompre ou se fixer elles-mêmes sur des tenues (quatuor à cordes, clarinette basse et clarinette si bémol, hautbois, flûte). À la fin de la mesure 53, la texture se trouve immobilisée sur un triton (la - ré dièse) réparti sur plusieurs octaves et rendu instable par les tritles sur différents la, réminiscence à la fois du triton du deuxième mouvement et du trille du premier mouvement. Le mouvement "s'achève" par une coda à la fois caustique et désinvolte (mesures 54-55) : d'abord, un motif "féroce" de huit notes jouées staccato, rappel des déréglements du troisième mouvement ; ensuite, un glissando clownesque du trombone ; enfin, des sauts de onzième ou de douzième, éparpillés entre le célesta, l'orgue, la clarinette et la flûte, fragment5 dérisoires de l'écriture texturale. Pied de nez à soi-même autant qu'à l'auditeur. "La musique naît de l'imagination mais c'est la possibilité d'imaginer d'autres choses qui compte "23 L'enjeu fondamental du Kammerkonzert, comme de la plupart des œuvres de Ligeti, c'est sans aucun doute ce qu'on pourrait nommer "f'expérience de ['écoute". Écouter, c'est avant tout être attentif. Cela signifie qu'il n'y a 22 - Notons que les grandes articulations de ce quatrième mouvement suivent, de manière égaiement *inexacte", la progression de 'a suite numérique de Fibonacci dont la limite est le Nombre d'Or (I, 2, 3, 5, 8, 13, 21, 34, 55, 88...) : modification importante de la texture à la fin de fa mesure 7, deuxième phase à la mesure 15, mélodie de cor à la mesure 22 troisième phase à ia mesure 31, 55 mesures en tout. 23 - G. LIGETI, entretiens in P. MICHEL op. cit. p. 169. Exemple 1 53 2-60 4 Corrente (FlieBend) ExempZe 2 SS Exemple 3 9 9 54 peut transformer en "mal entendu" et peutêtre même un nonaudible qui excéderait voiontairement les Capacités physiologiques de la perception humaine. On comprend dès lors que l'expérience de l'écoute à laquelle convient les œuvres de Ligeti suppose inévitablement une nuer'do o x Celesta o (kaum Cel. audibleF X 0x1.- poco a poco ord, a poco sul • pont. poco a poco _ord., poco a poco su Via. Ve. o (suono ma lè at nient* o. Cb. pas d'écoute lorsqu'on croit savoir ce qu ron va entendre et plus d'écoute lorsqu'on croit savoir ce qu'on a entendu. La projection a priori ou la constitution a posteriori d'un sens musical sont antinomiques avec [e fait d'écouter ; autrement dit, l'attention se situe en deçà ou au-delà de toute représentation intellecTout l'effort compositionnel de Ligeti consiste à susciter et à maintenir, pour pouvoir l'explorer, l'attention auditive. Cet effort porte essentieltement sur quatre domaines liés recherche de l'inouï, ia maîtrise du temps, le jeu sur l'illusion et la dimension humoristique. L'inouï, c'est à ia fois le "sans précédent", le démesuré et, étymologiquement, le nonentendu, voire le non-audible. Nul besoin de revenir sur l'originalité des procédés d'écriture de Ligeti, en particuEier de l'écriture micropolyphonique. Il suffit d'insister sur la remise en cause des points de repères historiques, stylistiques et esthétiques qu'ils induisent. Face à cette musique, l'auditeur est désarmé et même, éventuellement, plongé dans le désarroi : il est dès lors en posture d'écouter, s'il veut bien se prêter au jeu. La démesure, quant à elfe, au-deià de ('outrance "bruitiste" de certains types d'écriture (dans l'extrême-grave ou le suraigu notamment), se situe au niveau du timbre qui est la catégorie maîtresse, sinon l'unique catégorie de la musique de Ligeti. En renonçant à toute rhétorique musicale (sauf sous forme d'allusions), la musique de Ligeti confronte l'auditeur à l'irreprésentable de la "couieur sonore", qui plus est en mouvement : pas plus que l'on ne peut décrire une couleur, sinon métaphoriquement, on ne peut décrire un timbre, a fortiori lorsque celuici est combiné "micropolyphoniquemenf' avec d'autres ti mbres. Enfin, le non-entendur voire ie non-audibie résident bien évidemment dans la complexité des procédés d'écriture de Ligeti. Il y a toujours quelque chose qui échappe dans l'écriture micropoiyphonique et ses différents aspects : une ligne, une figure mélodique, une harmonie, un rythme... jusqu'aux notions mêmes de ligne, de figure, d'harmonie, de rythme. Il subsiste toujours un non-entendu qu'aucune réaudition ne 55 certaine expérience de l'angoisse : celle de la perte des points repères habituels, celle de l'irreprésentable, celle du surhumain, voire de l'inhumain. La maîtrise du temps est strictement corrélative de l'assomption du timbre. La "couleur sonore" ne peut pas apparaître comme telle, en effet, sans une mise hors jeu des autres paramètres", en particulier du rythme. Le rythme pouvant être défini comme la périodisation résultant de ia dialectique du même et de l'autre, sa neutralisation (par '*compensation" micropolyphonique des valeurs comme dans fe premier mouvement, par augmentation importante comme au début du deuxième mouvement, par superposition complexe comme dans le troisième mouvement ou par diminution extrême comme dans le quatrième mouvement) implique la confusion du même et de l'autre ou, si l'on préfère, le "brouillage" de leur distinction. Aucune répétition dans la musique de Ligeti et pourtant un seul et même matériau ; aucun recours à l'altérité et pourtant un renouvellement permanent du matériau. De ce fait, ee temps chez Ligeti est fondamentalement celui de la présence, autrement dit un temps maîtrisé au sens fort du terme, c'est-à-dire immobilisé, sans passé ni futur, éternel jaillissement ou éternité jaillissante. Il ne faut pas se méprendre, à cet égard, sur l'impression de successivité que pourrait dégager l'analyse du Kammerkonzert. La représentation verbale d'un phénomène, quel qu'il soit, induit quasiinévitablement sa "mise en récit', comme le montre le philosophe Paul Ricœur dans Temps et Récit. Or, les œuvres de Ligeti constituent des déploiements, non des développements, des éclosions, non des tribulations. Leur forme relève de la continuité d'une persistance, non des intermittences d'une insistance (sauf à titre allusif de nouveau). Même si les œuvres de Ligeti ne peuvent que se donner dans fe temps, c'est-à-dire de manière successive, leur temporalité est comparable à celle d'une photographie à la durée d'exposition très longue (en l'occurrence, plusieurs minutes pour chacun des mouvements du Kammerkonzert). Par conséquent, le temps au sens courant de déroulement à trois dimensions (passé, présent, futur) est luimême neutralisé, il sert uniquement de "révélateur". À l'intérieur de chaque œuvre, le temps demeure cette immobilité vive" dont parle Roland Barthes à propos de la photographie 24 L'absence quasi totale de dimension discursive dans la musique de Ligeti, résultat de la primauté du timbre et de l'immobilisation du temps, a pour contrepartie un formidable pouvoir de suggestion. Parce qu'il se présente comme sonorité tendanciellement pure, le matériau évoque virtuellement toutes les œuvres dont les sonorités sont voisines (sans parler des connotations non spécifiquement musicales). Le quatrième mouvement du Kammerkonzert, à partir de la mesure 8, peut renvoyer à la magie du feu de Wotan, dans la Tétralogie de Wagner ; le troisième mouvement peut laisser entendre en filigrane les scherzos des quatuors de Barték ; les clusters très lents et décolorés du second mouvement font penser à certaines œuvres pour orgue de Messiaen ; la fin du premier mouvement peut se rapprocher de certains passages de Erwartung ou de Die glüchliche Hand de Schoenberg. Ces illusions historiques restent bien sûr incertaines : ce sont des "sous-entendus" et non des citations à proprement parler. Elles prennent cependant de plus en plus la forme d'allusions volontaires à partir du Deuxième quatuor et du Kammerkonzert (nous les avons signalées) et se doublent en outre, quasi-systématiquement, d'illusions psycho-acoustiques : limites timbre / harmonie, rythme / allure ou grain, texture / polyphonie, polyphonie / voix ou groupes de voix (plans), rythme / tempo, timbre composé / timbre composite, indécidabilité de la hauteur et du tempo, phénomènes "résultants" (battements, motifs ou rythmes tranversaux...). Ce jeu sur Yillusion prémunit du risque que les ceuvres de Ligeti soient perçues comme "du" Ligeti et que leur caractère inouï s'atténue d'autant. L'écoute reste mobilisée parce qu'elle est assaillie par l'incertitude ou l'ambigu'lté : elle n'en croit pas ses oreilles ! Cette exigence d'écoute pourrait devenir étouffante et, du coup, se voir menacée dans son existence même, si Ligeti ne faisait pas preuve d'une grande Eiberté dans sa démarche compositionnelle. Le grotesque qui côtoie le sublime, la rigueur qui s'allie à la désinvolture, une façon de contrarier les symétries ou les proportions trop évidentes, une certaine théâtralité du geste musical, tout cela introduit de l'inattendu (par quoi Kant définissait le rire), voire du saugrenu, et par là même relance l'écoute. li semble déplaire en premier lieu à Ligeti lui- même de faire "du" Ligeti. Le compositeur reste critique vis-à-vis de luimême tout en faisant face à la finitude non seulement inévitable mais nécessaire de l'œuvre. S'it compose à n'en pas douter avec la plus grande conviction, il n'en reste pas moins conscient des imperfections de certaines ceuvres, de leur caractère "expérimental" ou "inabouti". Chez Ligeti, les choses sont sérieuses parce qu'elles savent rester tégères. Les ceuvres de Ligeti nous "parlent/' en définitive de cette modestie assumée, c'est-àdire joyeuse, qui non seulement n'exclut pas mais conditionne bel et bien l'imagination de l'inimaginable. 24 - R. BARTHES La Chambre claire - Notes sur la photographie. Éditions de l'Étoile, Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 81 . Pour comanander disque compact ou cassette des œuvres impdsées au baccalauréat Disque compact : France* 160 F - Dom-Tom, Étranger* 180 FF - Cassette : France* 100 F - Dom-Tom, Étranger* 115 FF * Port inclus. Toute commande doit être accompagnée de son titre de paiement à l'ordre de : L'Éducation Musicale - 31, avenue Victor-Hugo - 27200 VERNON - Tél. : 02 32 21 37 44 - Fax : 02 32 54 68 01 2 - 253 - - CONCERTO pp ÇHN<BRP, pour treize instrunentiBtes ( 1969 / 70) I Corrente; 2 Oaimo sostenuto,} 3 Morvimento preciso e mecca— nico,; Presto, (L 'Eneemble Ars Nova sous la direction de Mario Bonaventura, Jeudi 6 Août 20 heures 30, à i t Auditorium des Halles) "Le titre de N Concerto Bignifie que les treize parties instrumentales sont toutes écrites pour des musiciens d t une égale virtuosité et que on ne trouve pas dans cette oeuvre de en " BO et comme c t est le cas dans le concerto traditionnel. Au Lieu de cela, ce sont différents groupes de stee qui jouent en la texture poly— phëliique demeurant néanmoins toujours très claire Comme c' est le cas pour toutes neg compositions' depuis le ma Ileu des années soixante, le langage musical de cette oeuvre n t est ni tonal, ni atonal 8 il n t y a • ni' centres tonaux, ni combinaisons ou progressioùs harmoniques qui pourraient être analYB6ee da façon fonctionnelle F par ailleurs, les douze song de échelle chromatique ne sont pas traités comme des notes possédant une égale valeur, ainsi qu t en va dans la musique atonale et sérielle. Certaines combinai gons spécifiques d t val les Jouent un rôle prédominant et déterminent le cours de la musique omnrne le développement de la forme. La polyphonie complexe des voix individuelles est incorporée au sein d flux t dans lequel les harmonies, c est dire les agrégations verticales d tintervalles, ne pas de façon subite, mais se fondent les unes dans les autres : une combinaison d tintorvalles clairement audible est ad-nsi progres— Bivoment altérée, et, partir de ce brouillage, il est possi— ble de peroevoir une nouvelle combinaison d t intervalles qui prend forme peu peu. Chaque mouvement du Concerto de chambre est caractérisé par une tex Eure rythmique particulière et par un type de nouve— ment ep'cifique. Le premti.er mouvement est doux et fluide; les figures rythmiqueg y constituent un tissu sonore unifié. La texture du deuxième mouvemalt est plus homophone. Au début I t énoncé musioal est statique; mais il est ensuite brisé par des fi tures rythmelques très vigoureuses. Cette séquence est de caractère dynamique; et, au Tur et à mesure qu' elle se déroule, la Btructure harmonique se modifie lentement, jusqu t à ce qu t elle culmine dans une de plusieurs quintes superposées. Le treiBièm• mouvement est quasi— mécanique et ressenble à un bizarre néoa-nigrne de précision à moiti 6 détraqué qui se mettrait en marche. Dans ce mouvement, la polyrythmie et Im polymétrie sont particulièrement marquées (ces techniques sont utilisées également dans les autres mouvements, mais à un degré moindre) Le quatrième mouvement est très rapide et exige une très grande virtuosité. II ressemble à un mouvement perpétuel, rne-ls le pres— to se désagrège et se mine de I ' intérieur : IA musique, on d±.re, se dé chire en lambeaux et finalement se désintègre com— piètement. Des bribes de mélodies tournent en rond, mais elles ne mènent nulle part et n t aboutissent rien; tout ge passe comme la musique était envahie des lianee. (Gy6rgy Ligeti) pensée en t s E aces c Qï7ip1exes et la tec.hniaue c cri e E çcneay:te n ' amenèrent -vite à des problèmes compositionnels dont t ion n ' était plus déterrninée principalement par es -tr E ri f t ions de couleurs sonores la dissolution des intervalles n'y était également plus de première importance. La fonction déterminant e pour la f orne passa de I ' interpénétration d ' éléments entiers à un complexe supérieur unifié, supprilü&lüt totalemen t les élé.-nents sonores a ü i le et E e c portant de par envers la véritable " structure" musicale un cor:poEé envers un rué lange en chimie. Gyôrgy Ligeti (1967 ) (Traduction française Pierre Michel) de EXTRAIT PROG 13/06/87 - EXTASIS 87 AUTOUR DU CONCERTO DE CH-è.y:BRE DE LIGETI Ecrit en 1969/70 pour Friedrich Cerha et son enselltble viennois 'Die Reihe , "Le Concerto de chambre" rassemble treize musiciens solistes . Voici les effectifs instruraentaux: 6 instrurnents à vent : flûte (et piccolo) , hautbois ( égal ement hauftbois d' amòur et cor anclaiE clar=nette, clarznette basse, cor, t 5 i nstrürnents à cordes : 2 violons, alto, violcncelle et contrebasse I groupe de 4 claviers joué par 2 musiciens : piano, ce lesta, clavecin, orgue Harnrnond . "Le Concerto de charabre" est une oeuvre concise, tant du point de,-. vue des effectifs, (Ligeti connu d abord cornne s réduflt son orchestre à 13 solistes) que du point de vue du langage musical : rien n'est dû, dans cette oeuvre, à des effets de rnasse orchestrale com-rne dans " ou " Èpparitions " . Parce 'il condense et rassernble la plupart des procédés d'écriture propres à Ligeti, le " Concerto de chambre" est . certainement I ' oeuvre qui perrnet d aborder la production de cet auteur avec le plus - de profit. C'est la . raison pour laquelle nous l'avons choisi, pour présenter, à partir de certaines de ses caractéris— tiques compositionnelles, l'oeuvre de Ligeti, en général . Premier mouvement " trames —rythmes " Les toutes premières mesures présentent un long motif construit sur 5 notes (fa dièse, sol, la bémol, la, si bémol) et sur les intervalles qui en découlent. Ces notes constituent des Divots ou des témoins et leur répétition selon des figures rythmiques constalnment variées permet la reconnaisance d tune trame. Le com-. positeur confie celle—ci aux vents. Ce même rnotif est bientôt repris par les • cordes, surimpressionnant 'l'effet dû aux vents. Le seul fait d' animer par une écriture rythmique extrêmement complexe des trames construites sur un nombre restreint de sons et d' intervalles perlnet à 1' oreille de percevoir une unité et, personnaliser chacune des trames. Cette reconnaissance des trames est essentielle pour suivre le déroulement musical de ' oeuvre : . ne faisant pas appel aux données habituelles de la composi t ion , comrne la perception d 'une mélodie, d ' une dynamicue orchestrale etc. . . celles—ci doit présenter un matériau sonore repérable et identifiable ; tel est le rôle des trames . D 'où I ' importance des modalités d'enchaînement de celles-ci . Dans le or eraier mouvement du Concerto de chambre ' c'est surtout une course de relais est présentée. Les différents aroupes d ' in— strurnents s 'y échangent les sons—témoins constitués en trames selon deux procédures principales : le fondu-enchaîné ( gui justifie la métaphore de course de relais) et la brusque E upture ( " coupé— cut ) . Les trames sont souvent construites sur un nombre minimun de sons qui durent très longteynps; parfois plusieurs minutes . Outre les oppositions dont nous venons de parler à propos des tramesrythraes , celles—ci sont d ' abord reconnaissables par la f i xi té des hauteurs et la petitesse des intervalles . Dans "Lanta no' "{eu des hauteurs s'ouvre en éventai autour d'un la bémol. Cepen— dant les quelques . sons proches du la bémol sont pri s en charae, les uns après les autres par tous les intrumen ts de 1 orchestre. C' est donc la " couleur" sonore de la trame qui change imperceptiblement . D'où I 'aspect dessiné des partitions de Ligeti . Dans le cas de " Lontano " l'on aperçoit nettement des pages écrites en diagonale du fait de 1 ' entrée de chaque instrurnent à interval le réculier. C' est surtout ce type d ' écriture qui entraîne 1-:ne •-, impression de statisme, d ailleurs revendiqué par le cornoo— siteur. Second Mouvement " Construction harrionia-ue Les trames de Ligeti sont construites harrnoniquement, cela veut dire que I' oreille perçoit un accord à 1' intérieur duquel elle peut s'installer du fait de sa durée. Dans le cas- _ du second mouvement du Concerto de chambre " nous sornmes particulièrement en présence de ce phénomène harrnonique . La première trame reste statique pendant les 15 premières Ille— sures . Celle—ci s 'organise autour d'un accord de 12 sons d if— férents . Ceux—ci ne sont pas tous donnés dès le début et leur mode d ' apparition est déterrniné par la volonté de les organiser en un système de tierces . Utilisant les 12 sons de la gamme chro— mati qüe sans doublure, il arrive nécessairement un moment où le système de tièrces est saturé, où la dissonance s ' impose d elle— même . Ligéti recornpose alors un nouveau système de tièrces autour de la dissonance, conservant le plus possible les sons de I ' ancien accord et n' introduisant de son nouveau gue par degré conjoint . Cette construction en tuilaqe rejoint en un sens le procédé de fondu—enchaîné, et sa fonction essentielle est de ne pas changer de manière définitive la couleur sonore d pas— sage, ce qui ajoute encore à la perception de I 'unité de la trame. L'on peut trouver un condensé de cette technique d 'écriture dans le solo d'orgue des mesures 11 et 12. Si l'on écoute le pas sace aaité 't de ce Illouvement , me sores 60 et 7 3 , I' on perçoit que la technxgue de tu il age harricnigue fait égal errient fon ct i on ner les trame s — rythme s Dans ce passace, ' oreille n ' identifie pas tout de suite que chaque mesure est construite autour d 'une note pivot distribuant les intervalles Ce n'est que lorsque I 'on a déduit que I 'on est en présence d' une descente chromatiguer que I 'on peut se rendre compte de la conduite en tuilaae de chacune des voix. Troisième mouvement 'Pulsions Avec le trois i ème mouvement , nous pénétrons dans un univers total ernent diff évent . Faisant a ppe I à des pulsions rythrn_i gues différentes et indépendantes les unes des autres ( chaque instrurnent doit répéter la même note régulièrement) , Ligeti donne à cette pièce son caractère de mécanique impertubable, conforInénent à I' indication "movimento preciso e meccanico" . La technique d' écriture par trames est mise ici à I épreuve dans son maximum d ' efficacité et son max inurn d extension . L'efficacité c' est 1 'écriture répétitive r staccato, 1 ' accent u— ation délibérée de entrée de chaque instrument dans le j eu) orchestral . Le max irax.ra d ' extension, c ' est de réduire la trame a la personna té sonore de chaque instrument, quitte à utiliser celui—ci à la Iimite de ses possibilités . Quatrième mouvement " Hé I odie de t Enbre' les trames sont ressérées et en perpétuel mouvement. Les enchaînements se font par I ' échange, d 'un groupe instrumental à I ' autre, du rna€ériau initial. Celui—ci "voyage" donc sans arrêt contrairement, aux pièces précédentes, l'auditeur n'a pas le temps de s ' installer dans un univers sonore définissable. Seule une longue mélodie de cor et de flûte piccolo vient fixer un in— s tant le déroulement fugitif de cette mélodie de tirnbre. Olivier Bernager ALBAN BERG Alban Berg est considéré depuis longtemps conne le compositeur le plus proche du romantisme dans le groupe de I t Ecole de Vienne . Profondément influencé par la tradition, il participe à la grande révolution de ' atonalisrne et utilise les théories de Schoenberg dans un esprit très personnel . " Z ERT " Cette oeuvre a été écrite pour le 5 Oe anniversaire d ' Arnold Schoenberg . Dans la lettre de dédicace à son maître, Alban Bera lui fait part de son obsession du chiffre 3 (et ses multiples) dans l'élaboration de l'oeuvre, EXTRAIT CD "UM MUS" - AEF UMM 102 KAMMERKONZERT Le Kammerkonzert de Gyôrgy Ligeti pour treize instrumentistes a été composé en 1 969-70 pour Friedrich Cerha et son ensemble «Die Reihe» de Vienne et créé le 1 er octobre aux Berliner Festwochen. L'oeuvre est écrite pour flûte ou piccolo, hautbois ou hautbois d'amour ou cor anglais, clarinette en si bémol, clarinette basse et deuxième clarinette, cor, trombone ténor, clavecin ou orgue Hammond (ou harmonium), piano ou célesta, deux violons, alto, violoncelle et contrebasse. Elle comporte quatre mouvements . Corrente, Calmo, sostenuto, Movimento preciso e meccanico, Presto. D'où vient que Ligeti, si l'on en luge par sa discographie, est l'un des compositeurs les plus populaires et les plus joués ? Dans le Kammerkonzert, la distribution des mouvements analogue à la séquence bien connue Allegro, Adagio, Scherzo et Presto finale n'étonne pas le familier de la musique classique. On pense pius d'une fois à un concerto grosso : aucun des instruments solistes n'a la vedette, le compositeur les interpelle par groupes de deux, trois ou davantage. Mais surtout, Ligeti écrit constamment en fonction de l'oreille des auditeurs et des auditrices. Ennemi de On entre dans le Corrente par un toute cérébralité, il ne renonce iamais aux séductions ieu de relations du timbre instrumental. Dans chaque mouvement, il intervalliques dont le détail a peu d'importance. Ce qui nous conduit d'un moment à l'autre par un réseau de compte, c'est la texture globale, d'où émergent parfois transitions touiours «lisibles> où contraste de façon quelques instruments particuliers et des cellules claire le caractère des différents passages. Il est peutrépétitives. Mais voici qu'apparaissent des être le Ravel de notre époque. superpositions de trames, en alternance avec des rythmes irréguliers. Un signal déchire l'espace et nous prévient que le paysage va changer, suivi d'un trille longuement prolongé. Notes tenues à l'octave, superpositions de strates instrumentales où viennent se greffer des figures individualisées et retour du ieu permutationnel du début... Vers la fin, Ligeti, en ayant recours aux registres les plus radicalement opposés, réussit à suggérer, avec les treize instrumentistes, l'épaisseur d'une formation symphonique. l'oreille que chaque instrument reste souvent sur la même note, mais avec des déphasages tels qu'on se croirait convié à un concert d'insectes où chacun aurait décidé de jouer sa partie en ignorant ses voisins. Eclats stridents dans les aigus, effacement progressif, aècidents sur entretiens de trilles et arrêt brusque. Calmo, sostenuto. Comme dans un désert dont l'uniformité serait interrompue par de rugueuses rocailles... Le compositeur tisse des trames qui ne sont pas exemptes de gravité, voire de tragique, suivies d'une longue séquence homorythmique dure et accusée. Puis tout se ralentit, se déglingue, et le tissu des notes tenues se raréfie progressivement. Presto. On retrouve le ieu permutationnel du début mais Ligeti ioue systématiquement sur les contrastes de l'orchestration. Il ne s'interdit pas quelques mélismes lyriques. Puis tout devient fébrile : le piano s'anime dans l'extrême aigu, la contrebasse, 'comme folle», rivalise de férocité dans le grave. Tout se termine dans la discrétion : on est déçu et surpris que ce soit déjà fini. Movimento preciso e meccanico. Ici, Ligeti superpose des rythmes, d'autant plus clairs à Jean-Jacques NATTIEZ